Simon Tanguy dans inging, Photo Fabien Rivière ©
Lors de la 38° édition des Hivernales à Avignon, Simon Tanguy présente au Théâtre du Chêne Noir sa nouvelle création, un solo qu'il interprète, inging. La scène ne sera pas utilisée, restant plongée dans le noir. Il occupe la salle de cet ancien garage, un espace rectangulaire vide, aux murs de pierres, au sol recouvert d'un linoleum vert. On y trouve des chaises pliables rouges pour les spectateurs et une petite table en bois, sur laquelle sont posés une pile de livres à gauche et un MacBook Air à droite. Une caméra filme le performer, installée en face de lui, au niveau des ouvrages. Devant, au sol, un vidéo projecteur envoie sur le mur de gauche d'autres images (muettes) de lui-même assis à une table, dans trois situations différentes.
Simon Tanguy accueille le public debout et mobile, affable : « Bonjour ! », « Vous pouvez vous mettre là », « Vous n’êtes pas obligés d’être en cercle (autour de moi) », « Vous pouvez prendre les chaises à votre droite », « On attend un peu, ça va ? ». Un professionnel répond : « Vous inquiétez pas, je sais faire tout seul ». Les spectateurs se détendent, osent un « Vous n’avez plus de plâtre ? ». C’est qu’en effet, il avait joué en juillet dernier en Avignon dans le cadre des Sujets à Vif avec une attelle, allongé sur un lit médicalisé, s’étant blessé lors de la représentation du trio Gerro, Minos and Him à Beyrouth (Liban).
Il s’assoit devant la table, et commence à parler. Ce qu’il ne va pas cesser de faire pendant 45 minutes. Assez vite, il va expliquer cette règle du jeu. Pas de texte écrit à lire ou à réciter, et changer de sujet souvent. Il débute aussi par rendre compte du titre de la pièce : inging réfère au suffixe anglais ing qui est utilisé pour des actions en train de se dérouler. Il ira sous la table, sur la table, et se déplacera dans l'espace, pour revenir à cette table. Il n’y aura pas de musique.
Au début, on est inquiet. C’est que, la veille, nous avons fait l’expérience opposée de deux pièces où la parole est très présente : Traduction, de deux étudiants de la formation supérieure de danse exerce à Montpellier, et Vers un protocole de conversation ? du Marseillais Georges Appaix. La première était bavarde, creuse, et pseudo-intellectuelle, la seconde spirituelle et délicieuse. On craint un instant de revivre la première expérience.
Il faut préciser aussi que les jeunes gens qui sortent des écoles supérieures en danse en France, Belgique, Allemagne, Pays-Bas et Suisse manifestent un fort attrait pour la mise en place d'un processus, qui ne réfère qu'à lui-même, dans une démarche très mentale mais aussi malheureusement le plus souvent assez ennuyeuse, sauf exception (comme Removing du Français Noé Soulier).
À l’origine, inging est une création de la New Yorkaise Jeanine Durning, que Simon Tanguy découvre en 2010 à Amsterdam, — où il étudiait à la School for New Dance Development (SNDO), autre école supérieure de danse, — et qui le fascine. En 2013, elle lui transmet la pièce à Rennes (France). En 2016 la voici jouée par le Français sous son seul nom. Mais pourquoi la pièce n’est-t-elle pas co-signée « Simon Tanguy et Jeanine Durning » ?
Donc, ça parle. Un flux régulier de parole, rythmé. Mais ça respire aussi. La diction est bonne. C'est sobre, et clair. Pas d'attitude de surplomb, pas de prétention, pas de cabotinage ou de pathos. Nous voici embarqués. Dans un cadre tenu, la parole peut larguer les amarres. L'association libre permet de subvertir les conventions et censures de la parole commune ou bourgeoise. Les différents niveaux de consciences s'entrecroisent. L'histoire (personnelle, et universelle). La géographie. Aussi bien « la grosse langue velue », « la colonne vertébrale qui fait des vagues », que le génocide de la dernière guerre mondiale. À travers cette polyphonie, émerge, aux meilleurs moments, l'humanité d'un homme mise à nue. Et voici Simon Tanguy comme dépassé par sa création - créature.
Fabien Rivière
NOUS AVONS DÉJÀ PUBLIÉ
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire