À vrai dire, il ne faut pas trop se fier au titre de la nouvelle création de la chorégraphe française Madeleine Fournier, La chaleur, à la simplicité trompeuse. Il ne s'agit pas d'une célébration de ce qui serait une qualité ou un objectif. Ainsi, le titre n'est pas Pour la chaleur. C'est plutôt une énigme, à résoudre peut-être, ou un oracle. Officiellement, nous sommes en présence d'« une comédie musicale expérimentale pour cinq interprètes à partir de chants en chœur de Henry Purcell. » Mais il n'y a pas de danse, plutôt une succession de gestes, de positions, face au public le plus souvent. Et en effet, les interprètes ne cessent de chanter.
Henry Purcell (1659 - 1695) est un compositeur anglais mort jeune à 36 ans, mais prolifique puisque il est crédité de 800 œuvres. À vingt ans, il est nommé organiste titulaire de l’abbaye de Westminster, à Londres, poste qu’il occupera toute sa vie. Il est ainsi le compositeur du roi, élément plus important qu'il ne peut paraître.
Il célèbre les plaisirs de la vie :
Musique, musique pour un temps
Distraira tous vos tourments
Vous vous étonnerez
De voir vos douleurs soulagées (...)
Si la musique est l'aliment de l'amour,
Chantez, Chantez, Chantez, Chantez
Jusqu'à ce que je sois remplie de joie.
Dans l'importance donné à ce type de chant ancien, il est possible de penser à l'américaine Meredith Monk qui travaille depuis le début des années 60 à la lisière entre la musique et la performance. D'ailleurs, elle a pu présenter dans la même salle du théâtre de l'Aquarium lors du même festival June Events, Girlchild revisited, en 2010. Mais Monk chorégraphie le mouvement.
Sans doute, Fournier mobilise la mythologie grecque, les divinités indiennes et les figures du tarot. C'est-à-dire le tordu, et non le droit. Mais l'espace de la scène est bien réel. On est ici et maintenant. Les costumes ne payent pas de mine (même si la photo ci-dessus semble démentir l'affirmation). Les corps disent le contraire de la célébration des sens que défend le chant. Ils sont traversés de tensions, les visages sont agités de rictus. On peut avoir le sentiment qu'il est question du pouvoir, et qu'il faut lire ou relire Le Livre du courtisan, de Baldassar Castiglione, publié en 1528 et/ou L'Homme de cour, de Baltasar Gracián, paru en 1647, qui donnent des conseils pour arriver à être avisé, intelligent, et surtout prudent, à la cour. Un pouvoir royal, d'avant la Révolution de 1789, qui va célébrer la République. (étrangement, le même questionnement traverse, consciemment ou pas, Forme Simple, de Loïc Touzé, vu en novembre 2019 au Théâtre de la Bastille à Paris, où elle dansait)
Monk est innocence (mais elle n'est pas dupe ou naïve), et travaille au premier degré quand Fournier préfère un second degré ricanant et maniéré, produisant ce qu'on pourrait nommer, si l'on y tient absolument, une chaleur froide. Même si il ne faut pas oublier, vers la fin de La chaleur, cette scène poignante, où, soudain, et sans prévenir, les interprètes se retrouvent allongés au sol, dans une lumière rouge sang, comme des guerriers vaincus et agonisants, enfin humains. C'est qu'allongés, ils ne peuvent plus faire les malins. Mais ils se remettront debout, comme si de rien n'était.
Bref, on peut se demander si Monk ne porte pas l'opposé de Fournier. Une Monk Républicaine vs. une Fournier Royale ?
Fabien Rivière
La chaleur, de Madeleine Fournier, Théâtre de l'Aquarium, La Cartoucherie, Paris, Festival June Events, présentation professionnelle, samedi 8 mai 2021, 17h.
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