samedi 18 septembre 2021

Akeron (France), Interstice + Salamandre

J'ai découvert Marius Hoël aka Akeron dans la chorégraphie Beauté Bâtarde de Rémi Esterle, lors de la « soirée Formats courts » de Danse élargie 21 le 10 septembre dernier (cf. le compte-rendu dans l'article Danse élargie 21 : de belles découvertes lors de la première soirée). Ici, c'est le slameur qui signe ses propres créations.  
Fabien Rivière
— Ci-dessus : Vidéo publiée le 3 septembre 2021. Ci-dessous, publiée le 20 février 2021. 

vendredi 17 septembre 2021

Disparition de Delphine Demont, chorégraphe


COMMUNIQUÉ DE PRESSE 

Dimanche 12 septembre s'est envolée la danseuse et chorégraphe Delphine Demont, créatrice d'Acajou et maman de deux petites filles.

Ceux qui ont croisé son chemin se souviendront de la douceur de la présence de Delphine, de son regard toujours neuf sur les choses de la vie et de la danse, de son humanité.

Avec sa compagnie, Delphine Demont a développé des outils comme l'AcaJOUET (inspiré par le système de notation Laban) et le Coffret Giselle, conçu avec Wilfride Piollet (théâtre miniature en 3D), objets qui ont permis au public déficient visuel de découvrir et de vivre aussi, dans la joie, des moments de cette danse à laquelle il semblait ne pas avoir accès. Interrogeant la perception et la conception du mouvement, ses créations ont fait se côtoyer danseurs aveugles et artistes valides ; on espère revoir, à l'automne, Nouvelle Lune... [Lien]

Ainsi s'en va bientôt cette personne aimée, dansant dans la nuit, sur le fil de la sensibilité, comme la Giselle virevoltante qu'elle affectionnait.

Laure DAUGE pour
Chorégraphes Associé.e.s


Extrait de Clairières, de Delphine Demont 
 > son dès le début, image à partir de 0:47 
avec Delphine Demont et Saïd Gharbi, filmé à Micadanses, Paris, le 23 octobre 2012 

mercredi 15 septembre 2021

Danse élargie 21 : acte 2 (avec Smaïl Kanouté et Mellina Boubetra)

Saluts, Never Twenty One de Smaïl Kanouté, Photo Fabien Rivière

Danse élargie 21 se poursuit. La deuxième soirée s'est déroulée hier (dernière ce soir). De bonne tenue encore, avec respectivement Smaïl Kanouté et Mellina Boubetra (pour une présentation du projet général, et de la première soirée, on peut lire notre article Danse élargie 21 : de belles découvertes lors de la première soirée)

Quand on découvre le Never Twenty One de Smaïl Kanouté, 35 ans, plus précisément un extrait de 35 minutes, il peut sembler évident que le chorégraphe vient de Los Angeles (États-Unis), ou de Soweto (Afrique du Sud). Pas exactement, car c'est un Français qui vit à Paris. Les trois interprètes, Aston Bonaparte, Jérôme Fidelin aka Goku et le chorégraphe lui-même sont de solides gaillards noirs, les torses nus et les bras recouverts intégralement d'impressionnants tatouages, des lettres blanches, aux inscriptions énigmatiques. La gestuelle est très graphique, qui mobilise beaucoup les bras, tels des hiéroglyphes. Le plateau est absolument nu. S'agit-il de la cellule d'une prison, d'un entrepôt désaffecté ou d'un nowhere urbain ? 

Dans un premier temps les trois jeunes hommes semblent engager une discussion mystérieuse et silencieuse entre eux, dont la teneur ne nous est pas donnée, dans une certaine solidarité fraternelle. Des voix off donnent à entendre des témoignages poignants et tragiques, en anglais non traduit. À Paris, et plus largement en France, cela signifie que l'on ne comprend pas la teneur précise des propos. C'est un choix assumé de Smaïl Kanouté, qui nous confie : « Je ne veux pas tout donner ». Soit. C'est la distinction entre l'explicite et l'implicite. Entre un chorégraphe qui sait, et le spectateur en partie dépossédé. Il est possible de regretter passer partiellement à côté du réel. Compte tenu de la gravité du sujet, est-ce raisonnable ? 

Dans un second temps, un homme frappe un autre homme à terre, qui serait ainsi mort. Dans la nuit, un téléphone portable semble filmer le cadavre. Puis une lutte s'engage, à l'issue que l'on pressent tout aussi dramatique. Montrer la violence entre Noirs pose question. Comment montrer ? Comment éviter le déjà-vu et les clichés (racistes) ? Existe-t-il un regard (de) Blanc(s) ? C'est une question de cadrage dirait Godard. Smaïl Kanouté remarquait qu'il fallait voir la pièce en entier pour se faire une idée juste de sa création. Certes. Mais il faut pouvoir assumer aussi le sens d'un simple extrait. Par exemple, il fait état « de la grande urgence de création chez les jeunes qui vivent dans des environnements hostiles comme le Bronx, Soweto, les favelas de Rio de Janeiro ou La Goutte d'or à Paris. » Sauf que les ghettos américains sont des territoires constitués exclusivement de Noirs, où aucun Blanc ne pénètre. Le meurtre y est banal, dans l'indifférence des Blancs. Qui sont les grands absents de la pièce. Car ces errances et ces meurtres sont bien le résultat de politiques Blanches (par exemple la suppression des budgets sociaux). Il pourrait être pertinent que Smaïl Kanouté mobilise aussi les sciences sociales, avec par exemple Marx, Bourdieu, Loïc Wacquant, ou William Julius Wilson, ce professeur de sociologie à l'université de Chicago. L'élaboration universitaire n'est pas l'ennemie du sensible. 

Quoiqu'il en soit, il faut voir ce travail, dont on peut se demander si il ne participe pas de l'émergence d'une nouvelle génération de chorégraphes contemporains hip hop qui s'intéresse (enfin ?) au réel, plus précisément aux questions sociales. Rejoignant les questionnements de  l'exceptionnel chorégraphe brésilien Bruno Beltrão, qui aura 42 ans le 19 septembre (La physique des corps de Bruno Beltrão : « Inoah »), et de l'excellent français Iffra Dia (L'art d'Iffra Dia fait du bien).

Saluts, Rēhgma, de MellinaBoubetra et Noé Chapsal, Photo Fabien Rivière

Le Rēhgma de Mellina Boubetra est un duo qu'elle interprète avec Noé Chapsal. Ils dansent de dos, un temps, dans des tremblements prononcés qui suggèrent le trouble psychiatrique. Ce qui n'est sans doute pas l'effet recherché. Depuis trente ans, sauf erreur seule Trisha Brown a dansé (intégralement) de dos, dans If you could't see me, une merveille qui date de 1994, vu en plein air lors du Festival Montpellier danse. Ce soir, on peut penser un temps qu'il s'agit d'une représentation d'anciens du NDT (Nederlands Dans Theater, basé à La Haye, aux Pays-Bas), d'esprit néo-classique (même si on pourra objecter qu'il s'agit d'une compagnie de danse moderne). 
La musique est insistante, très directive. Puis, ils vont mobiliser un piano droit, dans un toucher qui nous a semblé très froid et dur. 
Fabien Rivière
  Never Twenty One de Smaïl Kanouté : 
EXTRAIT 35 minutes > Théâtre de la Ville - Théâtre des Abbesses, Paris, Danse élargie 21, 14 et 15 septembre 2021. En savoir +
VERSION LONGUE 1h > Espace 1789, Saint-Ouen (93), Festival Kalypso, 9 et 10 novembre 2021 20h. En savoir + 
— Rēhgma de Mellina Boubetra.  

lundi 13 septembre 2021

Danse élargie 21 : de belles découvertes lors de la première soirée

Couverture du programme de Danse élargie 21

Danse élargie est un concours fondé en 2010 par le danseur et chorégraphe Boris Charmatz qui dirige alors le Centre chorégraphe national de Rennes, renommé Musée de la danse, et Emmanuel Demarcy-Mota, le directeur du Théâtre de la Ville à Paris.

Il vise à faire émerger une nouvelle génération de chorégraphes. Il se veut ouvert à « des artistes de toutes les générations et de toutes disciplines. » Tous les deux ans, il présente lors d'un week-end de juin une vingtaine de créations. Le premier jour 20 pièces de dix minutes sont proposées, le second jour dix finalistes demeurent. Le nombre minimum d'interprètes est fixé à trois. Un jury est composé d'artistes, un autre jury de membres du public. Il est gratuit. 

L'édition 2020 n'a pu avoir lieu à cause des restrictions liées au Covid-19. Elle est remplacée par quatre soirées distinctes (payantes, et pas de concours) en septembre 2021. Ainsi, la « soirée Formats courts » ouvre le bal avec sept propositions. Voici donc la 6° édition et les 10 ans de la manifestation. 

Mathilde Rance  Karnaval  
Le public suit les interprètes, et gravit la rue en face du théâtre
jusqu'à la place ombragée Emile-Goudeau
 Place Emile-Goudeau

Ambiance légère, voire festive avec le Karnaval de Mathilde Rance. Sortis par l'entrée du Théâtre des Abbesses, les huit interprètes investissent la cour du théâtre puis gravissent la rue en face, pour atteindre une place, et redescendent. Costumes métalliques, et masques d'animaux. Les enfants adorent, un serveur d'un restaurant voisin sort son portable pour filmer. Cependant, les corps sont un peu raides me semble-t-il.  
(durée : un peu plus de 15 minutes)

Rémi Esterle  Beauté Bâtarde 
Marius Hoël aka Akeron dans Beauté bâtarde, Photo Sonia Blin

Dans Beauté bâtarde, de Rémi Esterle, le jeune mais mature Marius Hoël aka Akeron est saisissant. Cheveux noirs et courts, petite moustache, en jean et sweat-shirt rouge sombre intense. Debout face au public, appuis solides au sol et haut du corps mobile et fluide, il slame puissamment un désarroi, une désorientation, mais une force de vie d'abord. Il possède l'intensité des Bérurier Noir, ce groupe phare de la scène punk et alternative française des années 1980. Un slam qui peut faire ricaner certains (je songe à un avis recueilli après la pièce). Cet art engagé est moqué sinon méprisé par tous ces spectateurs dégagés. Sur le plateau, il y a aussi un couple qui valse, habillé de façon improbable intégralement en jean, comme le petit chaperon rouge, mais en bleu, plutôt effacé. Dans le travail de répétition de la pièce, le jeune homme est censé être « la parole » (simplement cela), le couple « la danse », mais il se trouve qu'en réalité il est la danse, un corps chargé, vivant, quand le couple peut être perçu comme une métaphore d'une certaine danse transparente. La fin est terrible puisque la danseuse pose sa main sur l'épaule du jeune homme comme pour lui intimer l'ordre, dans une position de surplomb, de cesser de bouger et donc d'être, ce qu'il fait. Mais que cette fausse danse ne supporte pas l'autre dans sa différence est tragique, et réaliste.
(durée : 17 minutes)

Julien Grosvalet  Flashlights

En ouverture, est proposé un très beau travail plastique. Chaque interprète a une petite lampe qu'il allume ou ferme, dans la nuit. C'est très efficace. Mais quand la lumière revient, la danse n'est pas vraiment chargée.
(durée : 9 minutes)

Nicolas Barry  Pas de danse 
Saluts, à l'issue de Pas de danse, de Nicolas Barry (à l'extrême-droite)

Debout face au public, Nicolas Barry nous explique qu'il a lu Surveiller et punir, le fameux ouvrage de Michel Foucault paru en 1975, qui examine l'émergence historique de la prison et son organisation. Il dit s'intéresser en réalité à l'architecture des années 70 et à l'urbanisme des villes nouvelles. Il a effectué « des excursions », selon son expression, dans des centres commerciaux, des sorties de métro, et des halls de grandes gares, observant les corps et les visages, leurs tensions. 

Enfin, il souhaite mettre en pratique la page 153 du livre, qui décrit des pas militaires, jadis. Le résultat, dansé par quatre interprètes, se veut drôle et amusant, mais se révèle anecdotique. La logique du projet échappe absolument. 

Plus tard dans la soirée, interrogé pour savoir selon quelle logique on passe de Foucault à l'humour, le chorégraphe, gêné, ne peut répondre, et mettra fin abruptement à la conversation. 
(durée : 9 minutes)

Sudesh Adhana  Untamed Donkeys [Les ânes indomptés
Projection du film Untamed Donkeys de Sudesh Adhana

Sudesh Adhana est né en Inde, mais vit à Oslo en Norvège. C'est LE choc de la soirée, à l'effet de sidération absolu. Un écran de projection de la taille de l'ouverture de scène descend des cintres. Un film est projeté. Un plan fixe, — images magnifiques et bouleversantes, — montre un extrait d'une performance dans une rue de Delhi (Inde), devant un public debout. Tous les interprètes portent un masque d'escrime sombre. Des actions simples et répétées. Pour le reste les mots manquent, et on se dit que ce film met à mal, pousse à sa limite extrême un cerveau occidental, qui peut disjoncter face à de telles secousses mentales, sans que l'on puisse expliquer pourquoi, et avec une économie de moyen redoutable. Le budget et les moyens ne sont en effet pas ceux d'un film hollywodien. 
(durée : 13 minutes) 

Laura "Nala" Defretin & Brandon "Miel" Masele  Rave lucid 
Performance (haut) et saluts (bas), Rave lucid
de Laura "Nala" Defretin & Brandon "Miel" Masele
 

C'est la troisième excellente surprise de la soirée : Rave lucid, de Laura "Nala" Defretin & Brandon "Miel" Masele (Miel est le surnom du danseur). Quand on découvre les interprètes, c'est un soulagement : il n'y a pas que des Blancs sur le plateau (c'est un Blanc qui écrit ces lignes). C'est extra-ordinaire en danse contemporaine. Car cette danse électro et hip hop  relève bien de la danse contemporaine. La gestuelle est excellente, précise, chargée, juste, qui accepte la tension, ne l'interdit pas, mais la module, l'oriente, la fait circuler et finalement en joue. C'est une danse apaisante et pourquoi pas thérapeutique. Le seul petit danger est le glissement par moments vers une certaine théâtralité sans paroles (et donc de la psychologie) qui dilue un peu le passionnant et exigeant propos.  
(durée : 10 minutes) 

Brandon "Miel" Masele et  Laura "Nala" Defretin,
Capture d'écran Espaces Magnétiques

Trimukhi Platform  Cooking Stone
 Film, Cooking Stone de Trimukhi Platform 

Film projeté dans la cour du théâtre à la sortie de la salle. À vrai dire, il faudrait pouvoir le revoir en entier, pour donner un quelconque avis. On peut simplement dire que les images, tournées en extérieur et en noir et blanc sont très belles. 

On peut désespérer de la forme concours en général, de son utilité et de son niveau. Mais le programme ce soir fut de qualité. Il n'est pas si fréquent de pouvoir profiter de trois excellentes découvertes.  
Fabien Rivière 
Soirée Formats courtsDanse élargie 21, 10 septembre 2021, Théâtre de la Ville - Théâtre des Abbesses, Paris, France. En savoir +   

— PHOTOS Fabien Rivière, sauf deux exceptions indiquées.

— NOS ARTICLES :
— Sur la 4° édition en 2016 > Danse élargie entre Danse de surface et Danse du monde 
— Sur la 3° édition - 2014 > ICI   
— Sur la 1ère édition - 2010 > Le concours Danse élargie en photos 

dimanche 12 septembre 2021

Iceage (Copenhague, Danemark), Vendetta

Extrait de l'album Seek Shelter, publié le 7 mai 2021.