Une découverte, le chorégraphe Andreas Constantinou, Photo Facebook |
Le Théâtre national de la danse de Chaillot a présenté en janvier dernier pendant douze jours un Festival nordique en cinq programmes (1). L'idée est de donner une visibilité à la création chorégraphique des cinq pays d'Europe du nord que sont le Danemark, la Finlande, l'Islande, la Norvège et la Suède. Il s'est clos dans la (petite) salle Gémier avec un programme de trois pièces.
Tide, Bára Sigfúsdóttir, Photo Nanna Dís |
Tide de l’islandaise Bára Sigfúsdóttir est un duo de 30 minutes. La scénographie est sobre, sinon austère : sol blanc, pendrillons noirs sur tout le fond du plateau, lumière fixe. La chorégraphe entre par le fond droit suivie du musicien, une trompette à la main. Elle en jogging noir et T-shirt gris foncé sévère, lui en chemise bleue délavée, souriant. Les deux sont pieds nus. Elle entend manifestement se situer du côté du "sensible", du "non spectaculaire", du "peu". Pourquoi pas. Mais le danger est d’être plutôt du côté de l’ennui et d’une aridité peu intéressante.
Le titre se traduit par La marée. Il s'agit de suivre « l'alternance montante et descendante de la mer due à l'attraction de la lune et du soleil » et se veut « une invitation à une expérience inoubliable des sens » (« an invitation to an unforgettable experience of the senses »). On observe plutôt un temps un grand échassier fragile, suivi d’un travail au sol qui peut laisser perplexe. On ne peut pas dire que cela respire la joie de vivre. La gestuelle est assez pauvre, comme la musique. Et pourquoi les deux se situent-ils toujours dans la frontalité ? Avec Beach Birds, en français Les oiseaux de la plage, Merce Cunningham réussissait, lui, à restituer une certaine ambiance, organicité et puissance maritime. Et, tant qu'à explorer les relations danse - musique, on avoue préférer le travail d'Anne Teresa De Keersmaeker, ou celui de Merce Cunningham.
Camilla Spidsøe et Ole Willy Falkhaugen dans Schéhérazade, d’Ina Christel Johannessen, Photo Erik Berg |
Schéhérazade, de la norvégienne Ina Christel Johannessen propose une nouvelle version du ballet de 1910 de Michel Fokine (1880 - 1942). Soit un duo entre un homme qui d’emblée impose son emprise mentale et sexuelle sur une femme. On pense tout de suite à DSK, Cantat et Weinstein. Ici, il est franchement pénible de regarder un homme dominer une femme, la jeter vers le sol, et sembler vouloir l’étrangler à plusieurs reprises. Le point de vue de la chorégraphe n’est pas très clair, et la gestuelle peu inventive, si les costumes sont élégants. Les 14 minutes de la pièce sont très longues. Et pourquoi jeter du haut des ceintres quelques livres, puis une quantité industrielle ? Il s’agit de signifier que la femme est cultivée. Mais un lecteur ou une lectrice ne balanceront jamais de cette façon tellement brutale des livres.
Il faut attendre la fin de l’entracte pour découvrir Thewomanhouse, d'Andreas Constantinou, directeur artistique du collectif danois Himherandit, une proposition de 45 minutes enfin consistante, véritablement en prise avec le réel. Quatre interprètes surgissent soudain. Quatre hommes. Qui mobilisent et exhibent les stéréotypes liés à leurs genres. À vrai dire, la question de la véritable identité des personnes constitue le cœur névralgique de la pièce. Hommes ? Femmes ? Ou peut-être une autre possibilité ? Ou un mix, en quelque sorte ? Il est préférable de ne pas lire le programme de salle qui dévoile et impose sans respect ni finesse une réponse, qui se révèle en réalité bien plus complexe. Au contraire, le projet se construit avec intelligence et surprises. Il y a ce personnage qui nous explique qu'il s'appelait jadis « Max », et qu'il se nomme dorénavant « Max », façon habile de garder le mystère sur le sens de sa transformation : de femme à homme ou d'homme à femme ? L'explication est franche sinon crue sans être pour autant voyeuriste. Qu'est-ce donc qu'un homme ? Ou une femme ? Pour soi et dans le regard tellement intrusif des autres ?
Fabien Rivière
(1) Composé successivement d'une soirée d'ouverture, du Ballet Cullberg avec une bonne création de Jefta van Dinther, Protagonist (notre article), de Tero Saarinen avec Morphed, et du GöteborgsOperans Danskompani avec le Kodak d'Alan Lucien Øyen.
Festival nordique
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