vendredi 6 avril 2018

La Peau du sans-culotte (Simon Mayer, « Sons of Sissy », Centre Pompidou)

Saluts à l'issue de Sons of Sissy, de Simon Mayer (de gauche à droite Simon Mayer, Manuel Wagner, 
Matteo Haitzmann et Patric Redl), Centre Pompidou, Paris, Photo Nicolas Villodre



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Les Spectacles vivants du Centre Pompidou nous ont permis de découvrir, fin mars 2018, la pièce de l’Autrichien Simon Mayer intitulée, en allemand contemporain, Sons of Sissy, qui date de deux ans déjà – et de plusieurs siècles de tradition.

Un quatuor masculin barbichu, le violoneux, blondinet et longiligne Matteo Haitzmann, vêtu d’une longue jupe plissée – autant signes qui, d’emblée, mettent la puce à l’oreille ou indiquent l’état d’esprit général –, l’accordéoniste Patric Redl, le contrebassiste Manuel Wagner et le ménétrier, chef d’orchestre et lanceur d’ordres Simon Mayer, en tenue de ville, avec quelque accessoire rétro tel que le gilet de paysan endimanché, se lance dans des chants du patrimoine tyrolien, maîtrisant parfaitement la technique vocale et s’accompagnant des dits instruments. Le premier morceau est très enlevé et les jeunes gens marquent le tempo avec les pieds. Ils n’ont besoin de rien d’autre, ni de tambour, ni de trompette, ni de sono. Précisons d’emblée que le yodle orne par intermittence les modulations de l’orphéon.

Le deuxième air est plus lent. Les éclairagistes (Hannes Ruschbaschan et Martin Walitza) tamisent la lumière, le trio s’assoit tandis que le bassiste ne peut faire autrement que de rester debout. La coda est brillante, et même délirante, confiée aux violonistes. Le joueur d’accordéon diatonique se lève à grands pas, comme pour faire le tour du propriétaire et amorce une ribambelle de manèges en sens antihoraire, la scène se fondant au noir. Comme dans la Samba de uma nota só de Carlos Jobim, le joueur de piano à bretelles se borne à émettre une seule et même note, faisant rapidement aspirer le soufflet, niant par là même les efforts du pionnier Cyrill Demian qui fit de ce qu’il nomma « accordion » un orchestre en soi, doté de deux claviers indépendants, l’un émettant des accords, l’autre des mélodies. Le contrebassiste, muni d’un tuba, rejoint son collègue en piste, se tenant diamétralement opposé à lui, produisant une même note, dans une séquence « mémoire de notre temps », c.à.d. de type « minimaliste ».

L'ordre Mevlevi est un ordre musulman soufi fondé au XIIIᵉ siècle 
par Jalal al-Din Rumi à Konya dans le sultanat de Roum, Photo DR


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Tous deux marquent le temps, assez bruyamment, marquent le pas, qu’il aille en un sens ou en un autre, parfois même de côté. On peut considérer que la danse a, par ces faits mêmes et ces moindres gestes, bel et bien commencé. Une crécelle médiévale, alarmiste ou carnavalesque, en l’occurrence pascale, retentit hors du cercle de danse, maniée par le blond violoniste. Il se joint au mouvement, purifie l’aire de jeu en balançant ostensiblement un encensoir, fait sonner les clarines pendouillant côté cour agencées en mobile caldérien par la scénographe-costumière (Andrea Simeon). Contrastant avec la danse informelle de l’accordéoniste, la volte, prodrome de la valse selon Rémi Hess, devient le véritable motif, voire le leitmotiv du ballet. Matteo Haitzmann fait girer son jupon à la vitesse grand V, citant la serpentine de la glorieuse Fuller, se référant au mevlevi que stylisèrent Börlin et De Groat...

Le touche-à-tout Alessandro Sciarroni s’était déjà essayé au Schuhplattler, aux enchaînements de pas et de frappes des pieds et des mains sur toutes les parties du corps avec sa pièce intitulée en italien branché Folk-s, entouré de percussionnistes corporels habillés de shorts et de tee-shirts, tandis que lui-même arborait la Lederhose ou culotte de cuir typique et la coiffe tyrolienne à plumet. Les authentiques fils de Sissi, partagent certes quelques morphèmes avec le metteur en scène italien mais s’en écartent, si l’on peut dire, de pied en cap dans la deuxième partie de leur opus, celui-ci se déroulant en tenue d’Adam ou de sans-culotte de peau. Le Yodel et les vocalises gutturales, la marche soldatesque à pas pesants, les figures des quatre coins, les chaînons et rondes de toute espèce, les sautillements et danses de couple avec prises par la main ou par le petit doigt, les portés en chaise ou en 69, l’un fessant l’autre en rythme, les figures imposées se mêlent à d’étonnantes trouvailles, d’inédits agencements, d’impensables combinaisons. Le dénouement ou dénuement de la pièce se boucle par la réduction de la polyphonie inaugurale à une polyrythmie de souffles, ceux des interprètes qui n’en manquent pas et celui de l’accordéon anhélant à vide, sans produire d’autre espèce de vibration.
Nicolas Villodre

Sons of Sissy, de Simon Mayer, Centre Pompidou, Paris, France, du 28 au 30 mars 2018. En savoir + 

— Nous avons publié par ailleurs : L' « Aurore » aveugle d'Alessandro Sciarroni

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