dimanche 6 mai 2018

Toulon - Le Théâtre Liberté avale Châteauvallon dans l'indifférence générale

Vues de Châteauvallon, Photos (haut et bas) DR - (centre) Elian Bachini 

C'est une histoire étrange sinon sidérante : un établissement culturel riche de 53 ans d'histoire vient de se faire absorber par un autre qui n'a que 6 ans d'âge, qui plus est dans l'indifférence générale. Comment qualifier ce qui se passe ? Absorption ou destruction ?  

Le premier est situé à Ollioules, sur les hauteurs de Toulon, ville du sud de la France, au bord de la Méditerranée, dans le département du Var et la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, dont elle est la 3° ville derrière Marseille et Nice. Le second est au centre ville de Toulon. Le lieu que l'on nomme en langage courant Châteauvallon, connu plus précisément comme Centre national de création et de diffusion culturelles (CNCDC) vient de se faire avaler par le Théâtre Liberté.

Rappelons que le Théâtre Liberté a été créé en 2008 et inauguré le 17 septembre 2011. Il offre 1.000 places réparties en quatre espaces. Châteauvallon dispose d'un théâtre couvert de 405 places, d'un studio de 90 places, d'un amphithéâtre de plein air magnifique ouvert l’été et d'appartements pour des résidences d’artistes.

Dans l'histoire du spectacle vivant en général, et dans celle de la danse contemporaine en particulier, Châteauvallon est un lieu important. La liste est longue de tous les chorégraphes qui s'y sont produits.

À l'origine, c'est un fortin du XI° siècle, reconstruit en bastide au XVII°, puis laissé en ruine. En 1964, sous l'impulsion de Gérard Paquet et Henri Komatis, le site est restauré et converti en Centre Culturel consacré à la réflexion, aux arts et à la transmission des connaissances.

Il change de nom en 1987 en devenant le Théâtre national de la danse et de l'image (TNDI) sous la direction de Gérard Paquet. En 1996, le maire Front National de Toulon attaque le directeur, et obtient finalement la dissolution de l'association qui porte le projet. En 1998, une nouvelle association est créée sous le nom de Centre national de création et de diffusion culturelles (CNCDC) et placée sous la direction de Christian Tamet qui demeure 20 ans jusqu'à son départ à la fin 2017, sans successeur. La numéro 2, se résout à partir, laissant libre court au Théâtre Liberté pour le récupérer. Ce qui est fait le 23 février dernier. 

En 2015, l’association CNCDC a 17 ans, avec près de 50 000 spectateurs et environ 90 représentations par an. Elle affiche un taux de fréquentation annuel de plus de 90%. Châteauvallon fête cette année-là ses 50 ans. La gestion est saine. Mais malgré tout, manifestement le lieu gène certains politiques qui veulent sa peau. 

Var Matin ne laisse pas de doute sur les objectifs des nouveaux dirigeants : « "Le travail commence maintenant", a expliqué Charles Berling [co-directeur du Théâtre Liberté], tandis que Pascale Boeglin Rodier [co-directrice] a rappelé que le décret paru en mars 2017 concernant les Scènes nationales prévoit "une seule direction et un seul projet artistique par label". » Et : « Des discussions sont prévues avec les équipes pour l'élaboration du projet. Concernant la vocation de danse contemporaine de Châteauvallon, plus particulièrement, "On parle tout le temps de la danse à Châteauvallon, nous on souhaite revenir sur les 50 ans et plus d'histoire de Châteauvallon", a expliqué Pascale Boeglin Rodier. » (Ici)

Selon la presse locale, tout va bien. Il s'agit d'« un mariage de raison » selon La Marseillaise du 11 février 2018 (Ici). Il est question de « mutualisation » et non de « fusion-absorption », nuance. Le tout « pour des raisons d’économies budgétaires » selon le Ministère de la Culture et de la Communication et la Région. Le quotidien conclut benoîtement pas un « Finalement, ce qui se concrétise, c’est l’aboutissement rationnel d’une arrière-pensée d’économie de moyens envisagée il y a six ans et dont l’explosion en plein vol de la direction de Châteauvallon n’aura fait que précipiter l’inéluctabilité. » Sauf que l'explosion en vol a été préméditée. 

Seul Zibeline s'inquiète, qui craint une uniformisation de l'offre culturelle : « Pourquoi sacrifier cette richesse sur l’autel de contraintes budgétaires alors que l’un comme l’autre ont su préserver leurs spécificités et capter l’intérêt du public qui va et vient entre les deux pôles ?  » (Ici)

Un bon connaisseur de la situation explique qu'entre Liberté et Châteauvallon se joue des oppositions Centre ville - Périphérie, Théâtre - Danse, Public blanc âgé - Public jeune métissé. Contacté, un chorégraphe explique :
« Pour avoir parlé avec [une bonne source] je sais que la récupération des deux structures par une seule tête est dans la dynamique politique de l'époque comme à Marseille avec Dominique Bluzet qui outre la direction du Théâtre du Gymnase à Marseille depuis 1993, récupère le Théâtre du Jeu de Paume à Aix-en-Provence en 1996, le Grand Théâtre de Provence à Aix-en-Provence en 2007,  et les Bernardines à Marseille en 2015.

Pour moi c'est un hold-up financier, un mépris des artistes et de l'art, un rapport à la culture de gestionnaire vue du ciel. Un projection rationnelle et libérale de la culture comme moyen d'aliénation du même, une déconsidération sidérante de plus du terrain de l'art, c'est du TF1, du Claire Chazal [élue le mardi 19 décembre 2017 à la présidence du conseil d’administration du Liberté], de la vulgarité, le nom de notre époque. »  
Fabien Rivière

2 commentaires:

  1. bienvenue dans les nouveaux centres commerciaux culturels! mort à la petite entreprise!
    consommez, consommez, il n'y a plus rien d'autre à faire..

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