samedi 30 septembre 2023

King Gizzard & The Lizard Wizard (Melbourne, Australia), Gila Monster

Extrait de l'album paru le 16 juin 2023 et sobrement intitulé PetroDragonic Apocalypse; or, Dawn of Eternal Night: An Annihilation of Planet Earth and the Beginning of Merciless Damnation, que l'on peut proposer de traduire par L'apocalypse pétrodragonienne; ou, l'aube de la nuit éternelle : L'anéantissement de la planète Terre et le début d'une damnation sans merci.
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King Gizzard & The Lizard Wizard
Pochette de l'album

Katerina Andreou en chantier («Mourn Baby Mourn»)

Vue d'une partie de la scénographie de Mourn Baby Mourn de Katerina Andreou
à l'issue de la représentation, Photo Fabien Rivière 

Comment se nomme la nouvelle création de la grecque installée en France Katerina Andreou ? Mourn Baby Mourn, en français Deuil Bébé Deuil, et elle était visible au Centre Pompidou à Paris. Le plateau ? Un sol noir, des parpaings en son centre en vrac, et des tubes lumineux blancs surtout et certains oranges, posés au sol en bord de scène, qui cadrent l'espace dans un rectangle. L'action ? Un solo qu'elle interprète.

Elle entre en scène et va se saisir des parpaings l'un après l'autre, comme pour poursuivre la construction d'un mur. Si l'on songe à la pièce précédente, le duo Zeppelin Bend (notre article Résister avec Katerina Andreou ?), on retrouve l'usage de matériaux bruts, alors des pneus, des cordes et des formes ressemblant à des pylônes, posant déjà la question du genre, puisque plutôt mobilisés par et associés à l'homme. 

On peut y voir aussi (surtout ?) la volonté consciente ou pas non pas de construire une fiction, mais de s'affronter courageusement au réel, tel qu'il est. On peut citer alors le psychanalyste Jacques Lacan qui déclarait : « Le réel, c’est quand on se cogne » (synthèse de la citation originelle : « (...) quand on se cogne, le réel, c’est l’impossible à pénétrer »). D'un côté le mur dans sa matérialité et son objectivité, de l'autre les pensées subjectives d'une femme qui sont projetées sur lui en lettres majuscules blanches, et qui témoignent d'une certaine perplexité.   

C'est un chantier. Il le restera. Ce n'est vraiment pas grave. D'un format qui en plus ne colle pas aux exigences du marché de la danse, puisqu'il dure 40 minutes, et non une heure. Essayer de construire, ok, mais quoi au juste (et, question subsidiaire, avec qui ?) ? Elle va lâcher l'affaire (un temps ?) et partir dans l'espace terrestre, puis va se hisser en haut du mur, s'y asseoir, et se retrouver projetée dans l'espace-temps un temps, sans qu'on sache si c'est un jeu vidéo ou une conquête spatiale ici ou ailleurs, une réalité, une vision, un fantasme, un rêve. Peu importe. 

Pour quel futur ? Comment faire ? L'artiste n'a pas de réponse. Même si le chantier est l'endroit où s'expérimente normalement les méthodes, les matériaux, et les façons de les coordonner. 

La dimension politique de la proposition peut échapper. La chorégraphe déclare cependant dans le programme de salle : « Dans les années 1990, en tant qu’enfant puis adolescente, je pense qu’il y avait un espoir. C’est aussi romantique que ça. En Grèce, il y avait même eu un boom d’espoir, avec l’adhésion à l’Union Européenne, les premières chaînes de télévisions privées, etc. Nous sortions de la dictature et allions vers l’Union Européenne, sans trop savoir ce qu’il y avait entre les deux. Le gouvernement socialiste avait comme logo un soleil qui se lève. Il y avait une promesse de modernisation et de changement, d’ouverture et d’un passage – si je peux me permettre – de la périphérie au centre, de l’Est à l’Ouest… L’idée du progrès était vague et plus elle se concrétisait plus elle perdait en justesse et en inclusivité. Très vite, cette bulle a explosé et elle était vide. Dès 2008, avant même que la crise économique n’éclate, le manque de capacité à espérer ou même à se projeter était évident. » Et : « Ce qui me motive, ce n’est pas le progrès ni une promesse mais bien l’inverse: la détresse et le fait qu’il n’y ait rien. » Enfin : « (...) je tourne en boucle, c’est ma manière de danser. »  N'est-ce pas le synonyme de tourner en rond ? Une conscience de la gravité de la situation, mais pas vraiment d'outils pour penser le monde, ni même d'engagement dans le réel. D'où la figure du mur en parpaings. Il existe pourtant des gens qui essaient de penser la situation, s'engagent et agissent. Les sciences humaines fournissent des ressources. Bref, n'est-ce pas l'autre mot de dépolitisation qui s'exprime ? Et n'est-ce pas une situation partagée par beaucoup d'artistes de la danse contemporaine ? Que faire, disait Lénine ? En effet, que faire ?   
Fabien Rivière
Mourn Baby Mourn, de Katerina Andeou, Centre Pompidou (Paris), 27 - 30 septembre. En savoir +  

PS. Le Centre Pompidou ne doit pas oublier qu'il est un lieu international. Ainsi, en sortant de la représentation j'ai discuté avec un couple de jeunes suisses allemands sympathiques de Bâle ne comprenant pas le français (mais l'anglais), et donc doublement perplexes ou perdus. Par hasard juste avant j'avais trouvé le texte de la traduction anglaise du spectacle, abandonné quelque part, que je leur ai communiqué. De quoi les satisfaire. Bref, le sous-titrage s'impose. 

TOURNÉE  > ICI  

mercredi 27 septembre 2023

mardi 26 septembre 2023

Adi Boutrous en pleines « Reflections » ?

Saluts à l'issue de Reflections, Photo Fabien Rivière

Le danseur et chorégraphe israélien Adi Boutrous présente au Théâtre de la Ville - Les Abbesses Reflections, en français Réflexions, d'une durée d'environ 55 minutes (annoncée 1h10). Les interprètes de ce quintette prennent successivement un ensemble de pauses, sans discontinuer, le silence alternant avec la musique ancienneLe programme expliquant l'intérêt du créateur pour la peinture de la Renaissance, qu'il nomme « l'urgence d'un retour aux sources ». La nature de cette urgence et de ces sources n'est pas précisée. 

En français, 'réflexions' a deux sens : le travail de la pensée, et le reflet d'une image par un miroir par exemple. Soit une situation active, et une passive. Ici c'est la seconde définition qui est retenue. On veut bien croire que les peintures qui sont reproduites corporellement sur scène sont intéressantes (on ne verra jamais les tableaux originaux). Mais quel est l'intérêt de les reproduire sur scène justement ? Est-ce qu'on n'appauvrit pas considérablement les choses ? Ce travail d'enchevêtrement non stop des corps, dans une sorte de slow motion sans fin, atteint assez vite ses limites. 

Dans le même programme, Adi Boutrous, chrétien, explique qu'il ne veut pas faire une pièce religieuse (soit, mais les textes officiels ne sont pas les seuls, il existe aussi les textes apocryphes, c'est-à-dire écartés par la tradition ; deux tomes publiés en 2019 à La Pléiade respectivement de 1782 et 2156 pages quand même, Écrits apocryphes chrétiens ICI). Il est uniquement intéressé par « la spiritualité ». De la même façon, qu'est-ce que cela signifie ? Sans doute parle-t-il « du cycle de la vie, de la naissance à la mort » et « de douleur, de souffrance et de blessures reçues », cependant sur le plateau tout est propre, comme vidé de tout, évidé. 

Enfin, il affirme vouloir « apprendre des choses sur soi-même à travers les autres et leurs œuvres ». Est-ce un vœu pieux ou l'acceptation réelle de la critique, contre les logiques haineuses de censures actuelles proliférantes ?  
 Fabien Rivière
Reflections, d'Adi Boutrous, Théâtre de la Ville - Les Abbesses, 25 - 30 septembre 2023. En savoir + 

dimanche 24 septembre 2023

Deux regards sur la nuit (Maud Blandel, «L'Œil nu» et Calixto Neto, «IL FAUX») - Genève, La Bâtie

Calixto Neto dans IL FAUX, Photo Benjamin Boar

Ils étaient programmés le même soir, mais pas dans le même lieu, lors de La Bâtie - Festival de Genève (Suisse). On découvre qu'ils partagent un même courage, assez rare, de s'affronter au réel, explicitement. 

D'abord le brésilien installé en France depuis dix ans Calixto Neto avec un solo qu'il interprète, IL FAUX, sous-titré Pièce de danse pour un corps dépossédé, au Théâtre Pitoëff, situé au premier étage d'une solide bâtisse inaugurée en 1909, à la façade en briques, à l'intérieur doux et coloré notamment par une très belle fresque dans l'escalier qui mène au lieu de la représentation (cf. ci-dessous), et un élégant dallage. Une femme explique que l'espace est trop petit pour le projet et que le chorégraphe a dû s'adapter. Il est déjà là quand nous entrons, nous observant tranquillement et silencieusement. Derrière lui, deux très grandes feuilles de papier kraft soutenus au tiers de la hauteur par des filins pour l'une, des cordes pour l'autre.

Photo Fabien Rivière
Fragment de la fresque, Théâtre Pitoëff, Photo Fabien Rivière

Assis en tailleur face au public, il prend la parole dans un excellent français. Il tient à nous parler, rappelant l'étymologie du mot kraft, mot allemand qui signifie forceen raison de la résistance du papier produit, mais au Brésil suggère plutôt l'idée de couleur, qui oppose le blanc considéré comme plus légitime que le noir.   

Dans un texte publié dans le programme, le chorégraphe expose son ambitieux projet, citant l’écrivain étasunien noir Ta-Nehesi Coates qui s'inquiète de la condition de l'homme noir aux États-Unis, c'est-à-dire qui risque à tout moment d'être abattu par la police. L'exposition de la problématique dure 20 minutes ce qui est un peu long. Fallait-il se limiter à cinq minutes ? 

Il élabore sous nos yeux avec le papier kraft une marionnette magnifique à laquelle il donne vie, d'une vitalité éclatante et réjouissante. À l'issue de dix minutes il l'assassine sauvagement. Ce n'est que quelques heures plus tard que je réalise qu'il s'agit peut-être d'une métaphore de l'homme noir dans nos sociétés.    

Enfin, dans la demie-heure restante, il danse un solo, que l'on suit un temps avec intérêt puis que l'on perd un peu en route. S'il cherche dit-il les forces qui sont à l'origine des meurtres des corps noirs, quelle-s réponse-s propose-t-il ? Poser des questions, c'est déjà beaucoup, certes. Les questions sont passionnantes, mais pour quelle-s réponse-s et, surtout, pour quelle-s incarnation-s ? Cela exige-t-il de mobiliser les sciences humaines, aussi ? 

L'Œil nu, de Maud Blandel, Photos Pascal Gely 

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On découvre la nouvelle création de la suisse Maud Blandel, L'Œil nu, au Pavillon ADC, soit Association pour la danse contemporaine Genève, inauguré en mars 2021, bâtiment tout en bois, projet qui a réussi à aboutir à l'issue de 23 ans de luttes.  

L'espace, vide et noir, suggère un entrepôt fonctionnel où se retrouveraient six jeunes, cinq jeunes femmes et un jeune homme. Debout face à nous en train de jouer à la pétanque avec... des boules en mousse. La question des différentes modalités de l'être ensemble se pose déjà, qui ne va cesser de travailler la proposition. Passé ce court préambule, ils se dispersent dans l'espace mais restent constamment connectés les uns aux autres. Dans un premier temps visages et attitudes glaciales, puis dans un second détendus et disponibles. 

En fond de plateau est disposé un élégant et sobre lecteur de bande magnétique métallique et noir Revox, comme maître du temps, qui diffuse la remarquable bande-son élaborée par Maud Blandel, Denis Rollet et Flavio Virzì. Ainsi, un saisissant rap américain qui pulse puissamment comme un cœur qui bat, renverse tout, accompagne un drame qu'il ne faut pas dévoiler. Tragédie privée qui submerge l'espace, implosion - explosion, contrebalancée par d'intenses et sympathiques battles un contre un. 

C'est une longue marche dans la nuit, au propre comme au figuré, traversée des fulgurances de la vie, dont on sort bouleversé et réjoui. 
Fabien Rivière

PS. Par ailleurs, on ne peut que saluer l'initiative consistant à proposer trois pièces lors de trois soirées distinctes d'un des chorégraphes les plus importants de sa génération, le libanais Ali Chahrour, qui vit toujours à Beyrouth, avec le fort bon Du temps où ma mère racontait (ICI), le magnifique The Love Behind My Eyes (ICI, notre article Puissance du mystère chez Ali Chahrour), et la dernière création, Iza Hawa (ICI). 
Après un triptyque consacré à l'islam, le chorégraphe a élaboré un second triptyque sur l'amour, constitué de Night (2019), Du temps où ma mère racontait  (2020), et The Love Behind My Eyes (2020). Ali Chahrour précise qu'Iza Hawa « est la quatrième pièce de ce qui devait initialement être une trilogie [sur l'amour]. Je devais entamer une nouvelle trilogie sur la peur cette année, mais nous l’avons reportée pour des raisons politiques, parce qu’il s’agit d’un sujet sensible. Nous travaillerons sur le premier chapitre en 2024. »

— Calixto Neto, IL FAUX :  En savoir +
— Maud Blandel, L'Œil nu : En savoir +  
Avec Karine Dahouindji, Maya Masse, Tilouna Morel, Ana Teresa Pereira, Romane Peytavin et Simon Ramseier.

TOURNÉE  Maud Blandel
ICI (Pantin, Angers, Marseille ; autres dates à venir)