lundi 30 octobre 2023

La danse des sous-sols d'Alex Baczyński-Jenkins

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C'est au Carreau du Temple à Paris que l'on découvre la pièce du danseur et chorégraphe britannique né en 1987 à Londres Alex Baczyński-JenkinsUntitled (Holding Horizon), en français Sans titre (Horizon de détention), élaborée en 2018 lors de la résidence du collectif féministe queer qu'il a co-fondé à Varsovie, Kem, au Centre d’art contemporain du Château d’Ujazdowski, dans la même ville. 
 
Il a fait partie de la première promotion d'étudiants du Bachelor of Arts « danse, contexte, chorégraphie » du HZT Berlin où Boris Charmatz a enseigné, a été interprète pour Rosalind Crisp, Marlene Monteiro Freitas et surtout Meg Stuart, dans sa compagnie Damaged Goods. Il a signé son premier solo en 2010, Translating the Agony in the Garden, en français Traduire l'agonie dans le jardin

Ce soir la représentation ne se déroule pas dans le théâtre au rez-de-chaussée. On doit emprunter un étroit escalier quelconque, qui peut faire penser que l'action va se dérouler à la cave ou dans un parking. On s'y retrouve bloqué un temps, dix bonnes minutes, avant d'être autorisé à entrer dans la salle. C'est un gymnase, peu éclairé, où l'on observe quatre paniers de basket et au sol des marquages, diverses lignes. On est assis sur des chaises en plastique noires tout autour de la scène, de forme rectangulaire. 

Les cinq interprètes, groupés, sont déjà là. Ils s'avancent, pivotent, puis repartent d'où ils viennent, et ainsi de suite, dans une marche infinie. Le programme indique justement la durée : 3 heures. Mais on peut entrer et sortir quand on veut. Pourquoi pas, mais la pièce a sa cohérence et mérite d'être vue sans discontinuer. 

Sans doute faut-il une période d'adaptation. On est à Paris. Ce soir il pleut. Il fait froid et le métro qui nous a amené était bondé à cette heure. La musique, excellente et jouée live, est un mélange d'électro, de jungle et de musique industrielle, qui pulse, très puissante, et sans doute demande-t-elle une certaine résistance. Il faut s'adapter à ces corps doux sinon sensuels, déliés, qui suggèrent une base de voguing, dans une gestuelle répétitive. Il y a aussi ces bonds, fascinants. 

La proposition est ou serait queer. C'est-à-dire ? En anglais le qualificatif signifie, à l'origine, péjorativement, "étrange", "peu commun" ou "bizarre". Il s'agit de renverser le stigmate, qui devient fierté. Se manifeste aussi la volonté de s'opposer à l'embourgeoisement des gays qui excluent à leur tour, les pauvres, les prostitués, les handicapés, les gays racisés, les "vieux", les "moches", et pourquoi pas les lesbiennes. Ici, on est surtout frappé par les visages que l'on ne voit pas, ce qui est très reposant. En plein narcissisme généralisé, c'est appréciable.

Au bout d'une heure ou d'une heure et demie, on ne sait plus, d'abandon, on reprend ses esprits, du moins en partie, réalisant le sens de cette création : un sous-terrain en Ukraine ou je ne sais où, en tout cas en surface c'est la guerre avec ses bombardements, seul le sous-sol est une protection, on survit, la seule évidence est qu'on est vivant, encore vivant mais pour combien de temps, et la danse manifeste la persistance de la vie et sa puissance d'agir, malgré tout. 
Fabien Rivière
Untitled (Holding Horizon) d'Alex Baczyński-Jenkins, Carreau du Temple (Paris), du 25 au 28 octobre 2023.  En savoir + 

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