mardi 12 juillet 2022

Concours Danse élargie 2022 : 4/18, ça va

Le danseur et chorégraphe Amit Noy, de Nouvelle-Zélande,
aurait mérité le premier prix, Photo DR

6h45 : C'est la durée de la première session du concours Danse élargie, où toutes les (18) propositions (de 10 minutes) retenues (sur 454 projets issus de 63 pays et 76 nationalités) sont présentées. Cela a commencé le samedi 25 juin 2022 à 11h15 à l'Espace Cardin, pour finir à 18h. Une première salve de 6 projets, suivie d'une pause déjeuner d'1h30, une deuxième salve de 6 propositions, une pause d'une demie-heure, et enfin 6 pièces. C'est long ? Non, même pas. Gratuit ? Oui. 6h45, c'est aussi un peu plus que la durée d'un vol direct Paris - Abu Dhabi (6h30).  

Cette année on se concentrera sur les créations les plus intéressantes, au nombre de 4, dont une seule a été primée par l'un des 3 jurys (jury d'artistes, de jeunes, et de la technique).

Deux chorégraphes ont abordé (courageusement) la question du passé qui ne passe pas, du passé qui demeure présent. Ainsi de A Big Big Room Full Everybody's Hope, du néo-zélandais Amit Noy, la destruction des Juifs d'Europe, pour reprendre le titre d'un ouvrage classique de l'historien austro-américain Raul Hilberg, et l'esclavage et la traite des africains avec La première danse politique de Josué Mugisha (Burundi). 

 Amit Noy, Capture d'écran Espaces Magnétiques

Le premier poursuit actuellement une série de performances avec sa famille. En hébreu le prénom Amit signifie 'Bon ami' (en anglais 'Good friend'). Il préfère dire qu'il vit à Aotearoa, qui est le nom actuel de la Nouvelle-Zélande en langue māori. Ses ancêtres viennent de ce qu'il nomme Israël/Palestine, et sa généalogie — whakapapa en māori — passe par l'Argentine, le Mexique et Hawaï. Sur scène, le (grand) fils, Amit Noy lui-même, son père, sa mère et son jeune frère sont assis chacun sur une chaise, devant, en fond de scène un vaste écran où l'on aperçoit via Skype le visage de la grand-mère, qui s'interroge : faut-il visiter un camp de concentration ou d'extermination ? Elle  explique que feu son mari à la suite d'une visite a passé des heures à pleurer. Cela fait du mal, et en définitive ne sert à rien, dit-elle. Elle affirme même que la démarche est, textuellement, « psychotique ». Le chorégraphe va interpréter avec une intensité bouleversante un extrait d'Agon de George Balanchine, créé à New York le 27 décembre 1957 par douze interprètes du New York City BalletAgon est un mot grec qui signifie « concours », « protagoniste » mais aussi « angoisse » ou « lutte ». Le petit frère va monter sur sa chaise et partir dans une joyeuse comédie musicale. On peut mobiliser sa famille sans être dans un pensum psychologisant et narcissique. Il a par ailleurs rédigé un texte publié en novembre 2021, History is Not a Dead Thing, dont le titre est à rebours de ce que pensent beaucoup de chorégraphes, qui affirme une grande circulation et fluidité entre présent, passé et futur. On n'a sans doute pas tout dit, ni tout compris, mais le choc est réel et durable, ce qui est rare. 

On pourrait dire qu'avec La première danse politique Josué Mugisha va mal, et il y a de quoi aller mal. Comment surmonter les traumatismes de histoire ? Il n'a sans doute pas encore trouvé le chemin vers la rémission. Sur scène, en conclusion, est affirmé qu'il faut « guérir de soi-même ». Au commencement, selon un homme, « il faut brûler les français ». Aujourd'hui ? Hier ? Surtout, pourquoi, car le territoire a été colonisé en 1885 par l'empire allemand avant de devenir partie de la colonie belge de Ruanda-Urundi à la suite de la Première Guerre mondiale. Quoiqu'il en soit, en psychanalyse, le 'il faut' signifie que l'on veut consciemment faire quelque chose mais que inconsciemment on ne fera rien. Ok. 

Jerson Diasonama, Capture d'écran Espaces Magnétiques
Jerson Diasonama et son équipe recevant le 3° prix du jury d'artistes,
Capture d'écran Espaces Magnétiques

Avec Core, le hip hop contemporain du français Jerson Diasonama partage certaines affinités avec l'autre danse hip hop contemporaine découverte lors de la précédente édition de Danse élargie, celle de Smaïl Kanouté (Danse élargie 2021 : acte 2 (avec Smaïl Kanouté et Mellina Boubetra)). Une danse des villes, de rues désertes, d'errance, nocturne, de fugitifs qui cherchent à échapper à un prédateur non défini.  

Tidiani N'Diaye, Capture d'écran Espaces Magnétiques
Mer plastique, de Tidiani N'Diaye, Capture d'écran Espaces Magnétiques

Le Mer plastique, du malien très présent en Suisse et à Nantes en France Tidiani N'Diaye propose cinq interprètes habillés de sacs plastiques évoluant dans une mer de sacs plastiques multicolores. C'est volontaire, très écrit et ludique, même si le titre, compte-tenu des dégâts provoqués par cette substance chimique dans les mers et les océans pourrait être aussi le moins sexy Mort Plastique.  

Dovydas Strimaitis, Capture d'écran Espaces Magnétiques

Avec Hairy, le lituanien installé en France Dovydas Strimaitis, danseur pour le Ballet de Marseille, propose un trio autour de la chevelure, de préférence longue, minimaliste mais rigoureux, répétitif sinon obsessionnel, qui nécessite pour les interprètes un fort engagement physique. Ebouriffant. 

D'une façon générale il est possible d'être en désaccord avec les choix du jury principal, le jury d'artistes (résultats en fin d'article). Dans le programme on nous explique que le fait qu'il soit composé uniquement d'artistes, sans programmateurs, serait une garantie : pour l'un, « Je ne suis pas contre les programmateurs dans un jury, mais c’était un point fort d’avoir uniquement des artistes face à d’autres artistes », pour l'autre « Un jury d’artistes, ça change tout ! Les considérations sont uniquement artistiques, non biaisées ». Mais est-ce si sûr ? La patronne de la danse au Théâtre de la Ville déclare déjà qu'elle ne partage pas l'ensemble des choix de ce jury. Les deux centres chorégraphiques nationaux qui accompagnent le concours ont déjà précisé qu'ils se réservaient le droit de soutenir qui ils voulaient dans le futur. Et Espaces Magnétiques désigne aussi ses propres lauréats (voir ci-dessous). 
Fabien Rivière

— PRÉSENTATION du PROJET et des PROPOSITIONS  ICI  — ICI (ordre de présentation) 
— JURY d'ARTISTES - Composition : Marion Barbeau (danseuse et actrice, première danseuse du ballet de l’Opéra de Paris en 2018, France), Jehnny Beth (artiste, chanteuse, auteure et actrice, France), Mohamed El Khatib (auteur, réalisateur, et metteur en scène, France), Kubra Khademi (artiste et performeuse, Afghanistan), Calixto Neto (danseur et chorégraphe, Brésil), Christos Papadopoulos (chorégraphe, Grèce), Tiago Rodrigues (dramaturge et metteur en scène, prochain directeur du Festival d’Avignon à partir de septembre 2022, Portugal). 

NOUS AVONS DÉJÀ PUBLIÉ : 
Danse élargie 2021 : une très bonne édition
Danse élargie 2021 : acte 2 (avec Smaïl Kanouté et Mellina Boubetra)

     PRIX DANSE ÉLARGIE    
1er Prix jury d'artistes   BOUFFÉES   Leïla Ka   FRANCE
2° Prix jury d'artistes   HELP   Yoko Omori      JAPON
3° Prix jury d'artistes  CORE   Jerson Diasonama    FRANCE 

Prix Jury Jeunes*     COCONUT EFFECT Ioanna Paraskevopoulou   GRECE 
   * 12 jeunes du Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris (CRR de Paris) 
Prix de la Technique Ex-aequo    HELP Yoko Omori   JAPON 
et WHAT DID YOU DO BEHIND THE CURTAIN  ? Stereo48 Dance Company  PALESTINE

PRIX ESPACES MAGNÉTIQUES  
1er Prix > Amit Noy A BIG BIG ROOM FULL OF EVERYBODY'S HOPE Nouvelle-Zélande
2° Prix >  Jerson Diasonama  CORE   France (Annemasse) 
3° Prix ex-aequo Tidiani N'Diaye  MER PLASTIQUE   Mali - France (Nantes)
3° Prix ex-aequo >  Dovydas Stimaitis  HAIRY    France (Marseille) - Lituanie 

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