mardi 21 février 2012

De la peau aux os

Juin 2010, de gauche à droite : Aloun Marchal, Roger Sala Reyner et Simon Tanguy

Juin 2010 : le trio constitué des Français Simon Tanguy et Aloun Marchal et de l'Espagnol Roger Sala Reyner remportent avec la pièce Gerro, Minos and Him le deuxième prix de la première édition du concours Danse élargie, initiative de Boris Charmatz et Emmanuel Demarcy-Mota, respectivement directeurs du Musée de la Danse de Rennes et du Théâtre de la Ville de Paris, qui s'est déroulée dans la salle historique de mille places du Théâtre de la Ville. Ils ont présenté, comme les vingt autres candidats, une pièce de 10 minutes. Il reste à développer le propos dans une création plus longue.

Juin 2010 : Roger Sala Reyner et Simon Tanguy dans Gerro, Minos and Him.

Ces jeunes gens se sont rencontrés lors de leurs études au SNDO d'Amsterdam (School for New Dance Development, site et blog), une école supérieure de danse qui est l'un des départements de l'Amsterdam School of the Arts (site).

Février 2012 : nous sommes à Amsterdam pour découvrir enfin la création de 45 minutes, dans le cadre du Something Raw Festival (agenda), que l'on peut traduire par Festival de Quelque Chose de Cru. Entre-temps, Roger Sala Reyner, encore étudiant au SNDO, a été embauché par Meg Stuart pour Violet, où il est impressionnant, retardant l'avancement du projet. 

Premier constat : les trois interprètes ne portent plus comme seuls vêtements un T-shirt avec bonnet pour l'un, un T-shirt et une paire de baskets pour l'autre, une ample chemise blanche avec écharpe rouge pour le dernier. Et ils ne semblent plus s'être roulés (ou avoir joué ?) dans la terre peu de temps auparavant. C'est que le sentiment contradictoire d'être à la fois ici et dans un ailleurs absolu était puissant, troublant, réjouissant. Nous songions même à la mythologie, au sujet de laquelle l'italien Roberto Callasso pouvait écrire : « Ces choses n'eurent jamais lieu, mais elles sont toujours » (Les noces de Cadmos et Harmonie, Gallimard). Mais nous ne sommes plus familier des histoires mythiques, de celles où Thétis est transformée en seiche, où Zeus monte au ciel sur la croupe d'un bouc, où Némésis crache sur sa poitrine pour éloigner le malheur. La dimension tragique est perdue, comme le désespoir de Cyparisse qui, fuyant Apollon qui lui faisait la cour, se changea en cyprès. 

Février 2012 : Gerro, Minos and Him, Photos Stephan van Hesteren  

Pour l'espace, on pense à Merce Cunningham, dans cette façon d'envisager chaque interprète comme le centre. Plus : il crée  lui-même l'espace qui l'entoure, qui se trouve constamment modifié en fonction des trajectoires des uns et des autres, et de l'infini variété de leurs dispersions ou de leurs regroupements. Suivre cette reconfiguration constante est absolument passionnant et émouvant.

La pièce tisse de façon très originale physicalité, théâtralité (mais sans pratiquement aucune parole) et frontalité. La physicalité est ondulatoire et jubilatoire. Elle peut être explosive, au sens de pêter la forme. C'est un corps de la dépense, sans compter, et en ce sens très généreux. Contre l'ensemble des dressages qui nous limitent, qui nous contrôlent, qui nous font être si sage. Les interprètes ne peuvent s'empêcher d'éprouver la présence de l'autre. Le toucher, le palper. Et plus encore. La théâtralité quant à elle porte des personnes, des personnages. Rien n'est précisé quant aux identités des uns et des autres. Cette indéfinition ne pose pas de problèmes. 

Quant à la frontalité, dans le théâtre ou la danse, elle peut aller de la faible intensité à l'intensité maximale. Yves-Noël Genod écrivait récemment dans son blog, au sujet d'un (magnifique) solo : «Hier, j’ai donné en notes ce conseil à Thomas Gonzalez : « Il ne faut absolument pas attirer l’attention sur toi. » Je crois que c’est ce qu’on peut dire de plus censé à un acteur, de plus important, ne pas attirer l’attention (du spectateur) sur soi.» Gerro, Minos and Him sollicite beaucoup le spectateur, et sans doute un peu trop. Partant de la surface de la peau pour l'intérieur du corps, de la peau aux os dans un vertigineux voyage au travers des différentes couches du corps, le trio perd ainsi un peu sa puissance expressive et poétique en route. Cependant, il peut facilement la retrouver. 

Quoiqu'il en soit, depuis plus d'un an et demi nous avons pu suivre l'évolution des travaux des lauréats de la première édition du concours Danse élargie. Gerro, Minos and Him demeure la meilleure surprise, évitant l'humour complaisant de l'un et la propreté de premier de la classe de l'autre. Bref, il évite le formatage.  ◯

TOURNÉE de Gerro, Minos and Him 
▷ Brakke Grond, Something Raw Festival, Amsterdam, 15 et 16 février 2012 >ici
▷ Zeitraumexit, Mannheim (Allemagne), 7, 8 et 9 mars 2012 >ici
NOUVELLES DATES Spring Dance 2012 (19-29 avril, site), Utrecht [20 km au sud d'Amsterdam], Pays-Bas, les 27 et 28 avril, dans le cadre de Young Makers Marathon (site), douze jeunes chorégraphes issus de deux écoles supérieures, PARTS (Bruxelles, site) et le SNDO (Amsterdam, site et blog).
▷ Het Veem Theater (ici), Amsterdam, 18 et 19 mai 2012
– Rencontre organisée par Janneke Raaphorst, avec le trio,
20 février 2012 >ici 


Février 2012, le 1er : Interviews d'Aloun Marchal et Roger Sala Reyner, lors d'une rencontre avec présentation d'extraits, La Danse contemporaine, c'est pas très compliqué! (ici), à l'Institut Français des Pays-Bas à Amsterdam (site); vidéo réalisée par Marie Aurélie Elkurd - Institut Français des Pays-Bas à Amsterdam, Sous-directrice : Sonia Leverd, Directrice : Isabelle Mallez. 



NOUS AVONS AUSSI PUBLIÉ 

7° édition du Festival International de Danse à Marrakech

Photo : Saadi My Mhamed
« Du 3 au 10 mars 2012 aura lieu à Marrakech la 7° édition du Festival International de Danse à Marrakech, « On Marche ».

Au Maroc, « On Marche »  tente d’impulser un rythme, recherche un élan, un creux dans lequel la danse pourrait se loger, et dans lequel se glisseraient les artistes marocains et le public.

Toujours précaire, la marche louvoie la chute, elle l’invente, l’appelle, et y échappe ; un écart. 

Dans cet écart la chute est à la fois suspendu, probable et imminente. Son évitement nécessite une poussée de l’arrière vers l’avant : un élan, une énergie. »
▷ Site du Festival ICI
▷ Consulter aussi 

dimanche 19 février 2012

L'Europe de la Culture est mal partie

Le 6 juillet 2011, le Syndicat National des Entreprises Artistiques et Culturelle (Syndeac), qui œuvre dans le domaine du spectacle vivant, mettait en ligne une pétition pour défendre le programme Culture de l'Union Européenne, intitulée "Nous voulons pour l'Europe un autre souffle, une véritable ambition artistique et culturelle" (ici), que nous re-publions ci-dessous. Sept mois plus tard, elle a obtenu 363 signatures.

Le texte est intéressant mais ne fait pas mention des pays qui connaissent une grave crise dans le domaine de la Culture : Grèce, Pays-Bas, Grande-Bretagne, Espagne, Italie, Portugal, etc. Un mot de solidarité en leurs directions n'aurait pas été de trop. Cet oubli est problématique. 

De même, si le mot «Europe» réfère dans la pétition à l'Union européenne (créée en 1957, aujourd'hui constituée de 27 états, site), on ne doit pas oublier le Conseil de l'Europe (créé en 1949, 47 pays, site).  



Parler d'«Europe» devrait toujours signifier ces trois dimensions : l'Union européenne (et ses instances), la situation concrète de chaque pays, et le Conseil de l'Europe.

La question du sens du mot «Culture» se pose aussi. Le centre de ressources Relais Culture Europe (site) est une création de l'Union européenne pour la France. Il explique très clairement que l'Union européenne ne défend pas la Culture mais bien la Culture qui peut justifier d'une dimension européenne, ce qui en limite très fortement la définition et donc la portée : « Le programme "Culture" vise, par le développement de la coopération culturelle transnationale, à mettre en valeur l'espace culturel partagé par les Européens et fondé sur un héritage culturel commun, et à favoriser ainsi l'émergence d'une citoyenneté européenne. Il est doté d’un budget de 400 millions d’euros pour la période 2007-2013 (source). » On trouve une autre présentation sur le site de l'Union européenne ici. Ainsi, tous ceux qui pensent que l'Europe pourra/it se substituer aux pays (devenus) défaillants se trompent. Sauf à interroger et modifier cette exigence.

Les dossiers que les compagnies remettent pour obtenir des financements de la Communauté européenne sont, d'après les témoignages, très lourds et complexes à constituer, et de fait hors de portée des petites et moyennes structures. Il faut payer un spécialiste spécifiquement pour cette tâche. 

Il serait souhaitable qu'un colloque ou des états-généraux de la Culture en Europe soient organisés à Paris, faisant la part belle aux témoignages des professionnels de nombreux pays, et que soit ouvert un site internet européen de combat et d'information pour défendre la Culture en Europe, comprenant notamment tous les articles et études consacrés à ces questions.

Mais nous avons beaucoup de mal à penser hors du cadre national. Ce qui n'aide pas à penser et à agir en «Europe».  ◯

PÉTITION initiée par le Syndeac

Nous voulons pour l’Europe un autre souffle, une véritable ambition artistique et culturelle


Institutions européennes et gouvernements élaborent en ce moment même les objectifs et les lignes directrices des futurs programmes de l’Europe. Ces programmes s’inscrivent dans une nouvelle prospective appelée « stratégie EU 2020 » dans laquelle la politique culturelle serait réduite à ses seules dimensions économique et d’inclusion sociale.

Ce qui nous menace c’est l’abandon ou la baisse du Programme Culture, l’impossibilité d’inscrire des projets à dimension culturelle dans les fonds structurels et le risque de les vider de leur sens, s’ils ne peuvent plus soutenir la création artistique.

Nous ne voulons pas de cette régression.

Parce que cela mettrait en ruine l’édifice culturel européen patiemment construit depuis plus de vingt ans par les Etats, les collectivités territoriales, les artistes et les opérateurs culturels.

Parce que l’Europe se construit sur la certitude que les peuples, débarrassés des tyrannies et librement associés, progressent ensemble vers un destin commun, fondamentalement démocratique et nourri par une conception partagée du rôle de l’art et de la culture.

Parce que le projet européen lui-même traverse une crise de légitimité et que les vieux démons du passé ressurgissent.

C’est au contraire dans la création artistique et la recherche que s’inventent les idées, les formes, l’imaginaire du futur. Elles forment le creuset d’innovations esthétiques et sociales d’où jaillit la diversité. C’est dans l’accès du plus grand nombre à cette richesse que se construisent les sociétés inventives, créatives et démocratiques auxquelles nous aspirons.

Nous, artistes et citoyens, interpellons la Commission, le Parlement européen et nos gouvernements respectifs pour obtenir le renforcement du budget du Programme culture et la garantie de soutien des projets artistiques et culturels dans les autres programmes.

Nous voulons pour l’Europe un autre souffle, une véritable ambition artistique et culturelle.
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NOUS AVONS PUBLIÉ 
Menaces sur la danse et la culture aux Pays-Bas
Menaces contre la culture en Hongrie, Bosnie-Herzégovine et Italie

La succession de Serge Lifar vendue aux enchères en mars à Genève

Portrait de Serge Lifar, par Rajak Ohanian,
On peut consulter son site de portraits en noir et blanc ici 
                                                                                                                              
Genève, le 8 février 2012 (AFP)Les biens laissés par le danseur et chorégraphe Serge Lifar (1905-1986) seront dispersés aux enchères en mars prochain à Genève, par les héritiers de sa légataire universelle et amie de coeur, la comtesse Lillan Ahlefeldt (1914-2008).

Selon le commissaire priseur Bernard Piguet, de l'Hôtel des Ventes de Genève, Serge Lifar a été "le grand amour" de la comtesse, qui a vécu à ses côtés pendant presque 30 ans, et qui a été la légataire de ses biens.

La comtesse Lillan Ahlefeldt et Serge Lifar 

Parmi les objets mis en vente, et dont l'estimation globale est de 1 million de francs suisses (800.000 euros), figurent des oeuvres de Jean Cocteau, reçues par Serge Lifar en cadeau de l'écrivain, dont il était un ami.

Il s'agit notamment de dessins originaux illustrant son livre Opium, et un carnet de plus de 40 croquis du voyage autour du monde de Cocteau avec son secrétaire et amant Marcel Khill, ainsi que des manuscrits d'oeuvres telles que Orphée, La Machine Infernale et L'Ange Heurtebise.

Par ailleurs, au cours de cette vente seront aussi dispersées quelque 3.000 photos du danseur, seul, ou aux côtés des personnalités du 20ème siècle telles que Marc Chagall, Picasso, Coco Chanel, dont il a été très proche, Paul Valéry ou Marie-Laure de Noailles.


Plusieurs partitions originales manuscrites composées par Georges Auric, Arthur Honegger, Francis Poulenc ou Igor Stravinsky seront aussi mises en vente.

De son vivant, Serge Lifar, grand collectionneur, avait déjà dispersé une grande partie de ses biens aux enchères à Paris et Londres.

Les biens laissés à la comtesse Ahlefeldt étaient ceux dont il n'a pas voulu se séparer jusqu'à sa mort.

Né à Kiev en 1905, Serge Ligar a été initié à la danse par la soeur de Nijinski. Fuyant la révolution russe, il s'est réfugié à Monaco en 1923, et est entré dans la troupe des Ballets Russes du comte Diaghilev, son mentor.

Après la mort de Diaghilev en 1929, Serge Lifar entre à l'Opéra de Paris, dont il deviendra le premier danseur étoile masculin en 1935, avec son grand succès, le ballet Icare. Il restera à l'Opéra de Paris jusqu'en 1958.

Serge Lifar est mort à Lausanne, où il s'était retiré, en 1986.

La vente aux enchères aura lieu lors de la session de printemps de l'Hôtel des Ventes de Genève, du 12 au 15 mars prochain.

▷ Le communiqué de presse de la vente Lifar de mars 2012 (format pdf, 7 pages)
www.ria.ru