jeudi 12 juillet 2018

Le temps des Créatures (Avignon, La Belle Scène Saint-Denis, Richard / Lamotte / Lescourant & Faye)

Avant le programme, les danseurs s'échauffent, Photo Fabien Rivière

Ça n'a l'air de rien, mais le Festival La Belle Scène Saint-Denis en est déjà à sa 7° édition. Le titre indique bien la volonté d'affirmer la vitalité et la beauté d'un département populaire et métissé souvent présenté sous un angle dramatique (pauvreté, drogue/s, etc.). Il associe deux lieux du département du nord de Paris, le Théâtre Louis Aragon à Tremblay-en-France (dont la programmation est plutôt axée sur la Danse) et le Théâtre Gérard-Philipe (TGP) à Saint-Denis (plutôt Théâtre). La manifestation, qui doit chaque année se battre pour son budget, s'est imposée par le sérieux de son travail de défrichage artistique. 

ALBAN RICHARD >  Vivace 

Vivace, d'Alban Richard (du haut vers le bas : début de la pièce, en cours, saluts),
Photos Fabien Rivière ©

Côté Danse, deux programmes différents de trois pièces de trente minutes sont présentés à 10 heures dans la cour arborée de La Parenthèse, située plutôt dans le centre de la ville d'Avignon, sous un auvent léger de toile  blanche, comme la voile d'un navire, quand il fait encore bon, puisque en journée on dépasse allègrement les 30°. 

Le premier programme est intéressant et divers, même si une thématique s'en dégage (le second programme sera à découvrir dimanche prochain). Vivace est signé Alban Richard, qui est à la tête du Centre chorégraphique national de Caen en Normandie depuis septembre 2015. C'est un duo de deux garçons lancés dans une mécanique infernale, quoique parfaitement réglée. Le plus souvent face au public, ils débutent avec des pas simples, répétitifs, à droite et à gauche, les bras collés au corps. Devant eux, au sol, il suffit pour le danseur d'appuyer sur un interrupteur blanc pour changer la musique. On passe ainsi de la techno (très bonne bande-son, avec Sleeparchive (Berlin) et The Shoes (Reims, France), par exemple) à de la musique classique (Jean-Sébastien Bach et Michael Nyman), en passant par du R&B (Jackie Wilson et Dinah Washington). Par la façon de tenir son corps si droit, on songe à Louis XIV, même si au fur et à mesure les corps vont se relâcher. Louis XIV dans son élément ou dans une rave. Mais toujours Louis XIV. Le contexte ne vous change/ra pas. La pièce devrait plutôt se nommer Under Control, tant il est vrai qu'il n'est pas question de le perdre ce contrôle (de soi). Le mot "vivace" suggère une certaine organicité sauvage et innocente, absente ici. Manifestement les temps sont durs, et on doit être un dur à cuire pour survivre ? 

À un moment on passe musicalement par du rap, on semble même le singer, on peut le faire, mais c'est un exercice délicat pour un Blanc de sembler se moquer d'une musique souvent Noire, quand on a manifestement pas fait l'expérience des conditions de vie du ghetto US par exemple (c'est un Blanc qui rédige ces lignes), de la misère sociale et du racisme quotidien (faut-il rappeler les trois morts brutales récentes d'excellents jeunes rappeurs US : XXXTentacion, 20 ans, et Jimmy Wopo, 21 ans, ont été abattus le même jour, le 18 juin dernier, le premier au nord de Miami (Floride), le second à Pittsburgh (Pennsylvanie); le rappeur Blanc Lil Peep est mort d'overdose le 17 novembre 2017 à 21 ans). 

SYLVÈRE LAMOTTE>  Les Sauvages [extraits] 

Les Sauvages, de Sylvère Lamotte, Photos Fabien Rivière ©

Faut-il en parler ? Et comment ? Toujours est-il que le casting entièrement masculin de Les Sauvages de Sylvère Lamotte est l'un des plus sexy du Festival d'Avignon In et Off confondus, même si il n'est pas le seul, puisqu'il en est de même chez Thierry Smits (Bruxelles, Belgique) avec Anima Ardens (ils sont entièrement nus) à La Manufacture et chez le Glaucos de Mikaël Six (Grasse, France) (ils sont torses nus et en sueur) au Théâtre Golovine (cf. ICI). Et après, diront certains. En effet, et après ? 

On ne verra que les trente dernières minutes d'une œuvre qui dure une heure.  Qui oscille entre présentation d'une bande de copains, d'origine rurale et populaire, qu'il s'agirait d'étudier, et la reproduction de tableaux anciens et de photographies contemporaines de tragédies. Mais quand un homme s'allonge sur le sol face contre terre, recouvert par un autre, et ainsi de suite, on ne songe pas à un monceau de cadavres. C'est que le chemin pour aboutir à la scène est beaucoup trop court pour être convaincant. Rendre la photo originale sans le contexte et sans le poids de l'histoire est fort difficile. Il faudrait des corps hantés (Meg Stuart peut le faire très bien). Sinon, on n'obtient qu'une forme plastique. Sauvages ? Plutôt très sages (comme des images). 

SANDRINE LESCOURANT et JOHANNA FAYE >  Syn.

Syn. de Sandrine Lescourant et Johanna Faye, (bas: saluts) Photos Fabien Rivière ©

Sandrine Lescourant et Johanna Faye proposent un duo qu'elles chorégraphient, Syn.. La seconde vient d'être nommée au sein d'un regroupement de chorégraphes à la direction du Centre chorégraphique national de Rennes (cf ICI). Syn., comme Synchronicité, ou Synthétique ? Il s'agit ici, selon la feuille de salle, d'explorer « l'infime connexion qui les relie », leurs « différences ». Soit. Mais on a plutôt le sentiment d'une grande identité de personnalités, et, dans ces profondeurs, de deux créatures d'un film de science-fiction plutôt gore, qui se rapprochent, s'associent un temps, se jaugent et finalement s'éloignent. Est-ce à dire que pour juger un individu il ne faudrait pas trop se fier aux apparences immédiatement perceptibles ?

Finalement, dans les trois propositions, l'humanité est plutôt laissée de côté. À l'inverse du travail, l'année dernière au même endroit, de Mickaël Phelippeau, un solo, Juste Heddy (lire notre Deux façons pour la danse contemporaine de parler de l'Autre (Mélanie Perrier / Mickaël Phelippeau)). 
Fabien Rivière
Programme du 9 au 14 juillet 2018. 

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