jeudi 2 avril 2015

Danse - Rachid Ouramdane : "Polices !" secours

Photos Patrick Imbert

Comment la danse peut-elle parler du monde, et singulièrement de la police ? Plutôt que de partir, comme souvent dans la danse, de soi dans sa dimension "sensible", le chorégraphe Français Rachid Ouramdane préfère un sensible moins auto-centré. Dans ce cadre, Polices ! qu'il présente ces jours-ci au Théâtre de la Ville (Paris) est un projet ambitieux et nécessaire. 

Il réunit 4 danseurs professionnels, « une chorale d'enfants des conservatoires à rayonnement communal de Garges-lès-Gonese et de Gonesse » (au nord de Paris dans le département du Val d'Oise) (au nombre de 12), « et une foule d'habitants de Paris et de la région parisienne » (18 personnes). Ils sont tous très biens, gestes précis et esprits concentrés. Bravo. 

La pièce a été créée en novembre 2013 à Rennes, puis présentée successivement à Château-Arnoux (ouest de Digne-les-Bains, département des Alpes-de-Haute-Provence), Strasbourg, Pontoise (région parisienne), Annecy,  et enfin Paris. Chaque fois ou presque il faut reconstituer et faire répéter une équipe d'amateurs du coin. 
  
Sur le plateau, on découvre une très belle, moderne et chaleureuse scénographie signée Sallahdyn Khatir. Au sol des bandes bleues, ou oranges. Au fond, un mur, vaste étendue recouverte d'une feuille métallisée. 

"Les gens" portent des bleus de travail, les danseurs la même chose, mais de couleur orange. 

Les corps, même dans un affrontement entre deux personnes au début (cf. photos ci-dessus), ne sont jamais agressifs, dégagent constamment de la douceur. Ils traversent le plateau de  droite à gauche, puis investissent la scène, puis courent. 

En voix off, des témoignages et des analyses. Le tout s'appuie sur le livre au titre similaire de Sonia Chiambretto, paru en 2011 aux éditions Grmx (en savoir +). Au début les témoignages sont dits sur un ton trop plat. Sur le fond, un enfant parle de la situation dans sa cité et de l'injustice faite à son grand frère. Il est question des dangers de la nouvelle loi anti-terroriste, du procès Papon en octobre 1997, des ratonnades et des meurtres de maghrébins (jetés dans la Seine) par la police à Paris le 17 octobre 1961 (le préfet de police est le même Maurice Papon) et des rafles policières du Vel' d'Hiv (pour Vélodrome d'Hiver ) le 16 juillet 1942. 

Le texte veut rassembler ces violences historiques en une réflexion générale. Le programme de salle parle de « réalité documentée », de « pièce citoyenne en même temps qu'artistique », de « psychanalyse collective »  qui « engage à l'élévation des pensées ». Rien de moins. 

En réalité le texte manque de travail documentaire. Il est paresseux. Plutôt que de nous présenter "les polices" comme une réalité qui plane au dessus de la société, il aurait été plus pertinent d'indiquer que les lois anti-terroristes, par exemple, sont une création du pouvoir politique et ont été votées par des parlementaires (Assemblée nationale et Sénat réunis). "Les polices" savent qu'elles seront protégées (ou pas). Elles sont aussi instrumentalisées par le pouvoir politique. Le démantèlement de la police de proximité remplacée par la BAC [Brigade anti-criminalité] est bien une décision du politique. Il y a le cynisme de maires qui savent que les immigrés ne peuvent voter et ne peuvent donc peser. Quant à la situation des quartiers, elle relève d'une politique de l'emploi (beaucoup de jeunes sont ainsi abandonnés au chômage) et d'un certain état du capitalisme (préférer le capital au travail). Faire porter le chapeau aux "polices" est bête, en opposant les méchants policiers aux gentils immigrés. Il aurait fallu travailler avec de bons historiens et sociologues. Car Polices ! ne nous apprend rien. 

L'articulation entre une scénographie et des corps doux avec un texte dur demeure problématique. Les premiers sont censés contrebalancer le second, nous dit-on. Il est vrai que nous sommes saturés de violence. Une pensée moins raide et mieux construite permettrait une incarnation plus réaliste sinon plus crue (nous songeons aux corps que présente Jan Fabre; une violence libératrice et non simplement tautologique). 
Fabien Rivière

Rachid OuramdanePolices !, Théâtre de la Ville (Paris), du mercredi 1er au vendredi 3 avril 20h30. En savoir + 

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Libertés publiques - Renseignement : la Commission des lois a encore durci le texte, Mediapart, 3 avril 2015. ICI 

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