jeudi 4 février 2016

Danse - « Colère » contre la non revalorisation de la subvention Accueil-studio. Les enjeux

Photo Fabien Rivière ©

Nous publions ci-dessous un courrier envoyé le 17 décembre 2015 à la Ministre de la Culture et de la Communication par l'Association des centres chorégraphiques nationaux (ACCN) et l'Association des Centres de développement chorégraphique (L'A-CDC). Les deux associations viennent d'apprendre que le montant de la subvention «Accueil-studio» que reçoivent les CCN et les CDC pour accueillir les compagnies indépendantes, ne sera pas revalorisé, contrairement à ce qui avait été promis. Le montant de 45.000 € n'a pas augmenté depuis 1998, c'est-à-dire depuis 18 ans. 

Annuler une mesure annoncée depuis des mois est une décision étrange. Comme le fait que depuis 18 ans le montant de 45.000 € n'ait pas suivi au moins l'évolution de l'inflation. 

Évolution de l'inflation en France de 1999 à 2014, Source Insee

Évolution du montant annuel de la subvention «Accueil-studio» si elle tenait 
compte de l'inflation, Mis au point par Espaces Magnétiques

Les deux tableaux ci-dessus montrent que si la subvention annuelle «Accueil-studio» ne suivait ne serait-ce que l'inflation, elle serait non plus de 45.000 € mais bien en 2014 de 57.534,73  €.

Par ailleurs, on notera que les compagnies indépendantes ne sont pas associées à la signature du texte. Il n'existe d'ailleurs pas de regroupement/s de compagnies indépendantes. 

Ce courrier peut faire penser que l'«Accueil-studio» est (et doit être) l'alpha et l'oméga de l'aide aux compagnies indépendantes. Il faut dire que les CCN pratiquent ces derniers temps un lobbying intense en direction du Ministère de la culture et de la communication afin de pouvoir exercer une emprise incontournable sur le milieu (cf. notre Le coup de force des centres chorégraphiques). Mais quel bilan tirer des aides directes de l'État aux compagnies ? Comment ont-elles évoluées depuis vingt ans ? Et où en est l'aide (co-production et achat) des théâtres ? L'absence de données publiques, exhaustives, fiables, partagées et discutées n'aide pas à y voir clair et à définir des actions. 

Le constat général est celui d'un délitement général et constant des aides financières, dans l'indifférence des autorités politiques nationales comme locales. Sans mobilisation collective contre ce déclin. La politisation est faible voire inexistante. 

Cette misère est rendue possible par le discours politique qui parle de « déficits publics » à combler comme d'une réalité alors qu'il s'agit en fait d'un discours idéologique ultra-libéral, et, maintenant, de guerre sans fin contre le terrorisme (et des moyens alloués pour y faire face). Concrètement, en avril 2014, un « plan d'économies de 50 milliards » a été annoncé par le gouvernement (cf. Le Monde), dont 11 milliards concernent les collectivités locales. La baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) de l'État aux collectivités locales en 2015 (cf. Le Monde) est sensible. Elle a eu pour conséquence une baisse du budget de la Culture de ces dernières, par exemple à Lyon de 7 millions (cf. notre article), Toulouse (idem) et le département de l'Allier (idem). 

On ne doit pas oublier que les « déficits publics » sont creusés en grande partie par la fraude fiscale et l'évasion fiscale. Ainsi, « Le syndicat Solidaires-Finances publiques estime que le montant de la fraude fiscale se situe dans une fourchette de 60 à 80 milliards d'euros pour la France. Des chiffres repris à son compte en 2013 par Bernard Cazeneuve, alors ministre du Budget. Dans un rapport d'information sur la lutte contre les paradis fiscaux, les deux députés Alain Bocquet (PCF) et Nicolas Dupont-Aignan (Debout la République) écrivaient également, fin 2013, que la fraude fiscale entraînait un manque à gagner de 60 à 80 milliards d'euros par an.  Une somme conséquente puisque le déficit de l'Etat s'est élevé à 85,6 milliards d'euros en 2014, selon Bercy.» (cf. Le JDD) (On peut aussi lire l'ouvrage instructif d'Alexis Spire, Faibles et puissants face à l'impôt ici

Le renoncement s'inscrit dans les esprits qui l'intériorisent comme une fatalité. Mieux, si l'on peut dire, l'évocation de la dimension économique et politique de la situation, — en parlant par exemple de mutation du capitalisme, d'un capitalisme fordiste à un capitalisme actionnarial — lors de rencontres professionnelles provoque une réaction très agressive de dénégation, alors qu'il s'agit simplement de la réalité économique. Cela dit, cette réaction ne peut que satisfaire le/s politique/s puisqu'elle affaiblit les milieux culturels et singulièrement la danse dans leurs négociations pour la défense de leurs légitimes intérêts. Ainsi, la danse pratique l'art de se tirer une balle dans le pied.  
Fabien Rivière
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Madame Fleur Pellerin
Ministre de la Culture et de la Communication 
3 rue de Valois
75001 Paris

copie à

Monsieur Fabrice Bakhouche, Directeur de cabinet, ministère de la Culture et de la Communication,

Monsieur Laurent Dréano, conseiller chargé du spectacle vivant, de la musique et des arts plastiques, cabinet du ministère de la Culture et de la Communication,

Monsieur Michel Orier, Directeur Général de la Création Artistique

Madame Marie-Christiane de la Conté, Présidente de l’Association des Directeurs Régionaux des Affaires Culturelles

Madame Vanessa Charles, Déléguée adjointe à la Danse

Monsieur Stéphane Werchowski, Président de l’Association des Conseillers Danse et Musique des DRAC

Madame Madeleine Louarn, Présidente du SYNDEAC
Monsieur Frédéric Pérouchine, Président de LAPAS / L’Association des Professionnels de l’Administration du Spectacle
Monsieur Jean-Christophe Bleton, co-président du Syndicat Chorégraphes Associés



Paris, le 17 décembre 2015

Madame la Ministre,

Nous venons d’apprendre que la revalorisation de la subvention «accueil-studio» pour les Centres chorégraphiques nationaux et les Centres de développement chorégraphique, n’a pas été prise en compte dans les mesures nouvelles arbitrées par la DGCA.

Nous sommes stupéfaits et en colère.
Nous défendons auprès de vos services depuis de longues années cette mesure absolument essentielle pour l’ensemble du secteur chorégraphique, et particulièrement pour les artistes émergents et les équipes indépendantes, que nos deux réseaux accompagnent.
Nous avons eu l’occasion de vous dire à quel point ces soutiens constituent aujourd’hui un maillon fort et indispensable de la chaîne de production et de diffusion des œuvres chorégraphiques, jusqu’à leur accessibilité la plus large. Lors d’un rendez vous avec l’ACCN le 30 janvier dernier, vous êtes convenue que cette mesure de 45.000 euros, qui n’a jamais été réévaluée depuis sa création en 1998, se devait d’être renforcée.
Enfin, nous avons largement pu débattre avec vos services de cet « effet levier », extrêmement porteur pour l’ensemble du champ chorégraphique.

Le directeur général de la création artistique avait considéré, au cours de nos derniers échanges, la mise en œuvre de cette mesure comme nécessaire à l’égard du secteur indépendant et de la vitalité de nos maisons.

Par ailleurs, cette nouvelle vient contester les axes que vous avez annoncés en septembre dernier en faveur de la danse.
Elle vient également contredire les indications qui nous ont été transmises par nos DRAC, émanant des préconisations de la DGCA, nous incitant à inscrire dans nos budgets prévisionnels 2016 cette augmentation. Pour la plupart d’entre nous, ces budgets ont été votés en conseil d’administration, et portés à la connaissance de nos partenaires locaux, qui ont par ailleurs salué cette mesure nécessaire.

Nous ne pouvons accepter un tel recul aujourd’hui. C’est l’ensemble du champ chorégraphique, dont la fragilité ne cesse de s’accroître, qui va en pâtir.

En ce sens, Madame la Ministre, nous vous demandons solennellement de veiller au rétablissement de cette mesure permettant l’augmentation du montant actuel du dispositif « accueil-studio ». Nous demandons également à pouvoir vous rencontrer en urgence.

En vous remerciant de l’attention que vous porterez à notre grande inquiétude, nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de notre haute considération.

Pour l’ACCN, Emmanuelle Vo-Dinh, Présidente 
Pour l’A-CDC, Stephan Lauret, Président

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