mardi 21 juillet 2015

Danse - Que fait Hofesh Shechter ? ("barbarians", Festival d'Avignon, In)

(ci-dessus) barbarians, de Hofesh Shechter, Photos Fabien Rivière ©


barbarians, de Hofesh Shechter, Photo Christophe Raynaud de Lage - Festival d'Avignon

Hofesh Shechter, né à Jérusalem en 1975, s'installe à Londres en 2002, année où il crée sa première chorégraphie, fondant sa compagnie en 2008. Actuellement, il est artiste associé au Sadler's Wells (à Londres) et sa troupe est en résidence au Brighton Dome (à Brighton, au sud du Royaume-Uni, en bord de mer). 

Sa nouvelle création, barbarians [en français, barbares], sans B majuscule, est un trilogie, composée de the barbarians in love - (entracte de 15 minutes) - tHE bAD - (pause) - Two completely different angles of the same fucking thing

Qui sont et que font ces barbares ? Difficile d'y répondre, sinon impossible. Dans la feuille de salle, Hofesh Shechter explique pourtant : « J’ai pensé à des barbares au sens d’êtres apparemment sans culture, violents, instinctifs. Des êtres à la limite de l’animalité, non encore formés. J’aime l’idée qu’ils puissent être néanmoins amoureux, qu’ils créent un monde pour eux-mêmes et développent leur propre définition de l’amour.  »

On note le niveau sonore élevé d'une musique explosive (rap et électro), des effets de lumières, de la fumée. D'excellents interprètes, qui se déplacent le plus souvent en groupe. Une gestuelle qui fait penser à celle de la Batsheva Dance Company, fondée en 1964 par Martha Graham avec le soutien de la baronne Batsheva de Rothschild dont elle tient le nom. Depuis 1990, le chorégraphe en résidence de la compagnie est Ohad Naharin. 

Dans le programme, Hofesh Shechter confie : « Poser sur le plateau ce que j’ai dans la tête n’est pas ma priorité. J’essaie plutôt de faire circuler des énergies, de la puissance, des émotions. »

Dans la première partie (cf. photo ci-dessus) les costumes de coton d'un blanc virginal suggèrent pour le bas un kimono et pour le haut une camisole.  En voix off, une discussion (trop banale) entre une femme et Hofesh Shechter lui-même. La deuxième partie nous semble la plus intéressante, dans son relâché, où seul compte le plaisir de danser.

(cahier Le Monde Avignon, 2  juillet 2015, page 6) 

La troisième partie est un duo un peu ennuyant avec deux "anciens" de la compagnie. 

Quant aux effets, on se disait pendant la représentation que William Forsythe en produit de plus puissants (tant qu'à faire) qui prennent appui sur une pensée autrement plus solide et passionnante, sinon vertigineuse. 
Fabien Rivière
PS. Pour Vaucluse Matin du 14 juillet, ce travail est « novateur ». Vraiment ? 

barbarians, de Hofesh Shechter, Festival d'Avignon - In, La Fabrica, du 12 au 15 juillet 2015. Site

lundi 20 juillet 2015

Le bonheur de la danse de Fatou Cissé ("Le Bal du Cercle", Festival d'Avignon, In)



(ci-dessus) Fatou Cissé, Photo Antoine Tempé


Le Bal du Cercle, de Fatou Cissé, Photos Christophe Raynaud de Lage - Festival d'Avignon

Ce  pourrait être une question pour bac de  philo  ou épreuve pour étudiants en arts : « Le sujet d'une œuvre doit-il correspondre à son contenu annoncé, et dans quelle mesure ? » Ainsi, il semble que certains " professionnels ", comme l'on dit, " professionnels de la profession " comme dit Godard, n'aient guère appréciés la distance, toute relative finalement, entre le sujet et l'œuvre. 

Dans le programme de salle, on trouve ainsi ces mots de Fatou Cissé
Le Bal du Cercle parle en effet d’un bal réservé aux femmes, le Tanebeer. En woloff, ce mot signifie « bal de nuit ». Il y a une autre étymologie plus rurale du mot : « la danse sous l’arbre ». Il s’agit d’une pratique ancestrale, organisée exclusivement par des femmes, en l’honneur du roi ou d’autres personnalités. 
Au tamis de la modernité, le sens et les formes de cette pratique ont connu une bascule : elle est désormais le fait de femmes des quartiers et s’inscrit dans un cadre domestique. Ce bal regroupe aujourd’hui des rivales qui, à travers lui, se livrent à des règlements de comptes, à des batailles qui ne sont pas corporelles, mais vestimentaires et esthétiques. C’est cette dimension et ce glissement qui m’intéressent. Le Tanebeer n’est donc plus simplement une fête, mais c’est surtout un endroit, une occasion pour montrer sa valeur. Les femmes s’y présentent bien habillées, bien pouponnées, pour montrer à leurs pairs ce qu’elles sont, ce qu’elles peuvent devenir au-delà de leur condition. Elles se libèrent de leur quotidien, généralement rythmé par les tâches domestiques, par le soin à la famille ou à la belle-famille. Pendant le Tanebeer, la plus humble des femmes peut être Miss Monde. Ce jeu de rôles est bien entendu façonné par les influences de la société de consommation : plus on brille, plus on exhibe de bijoux, et plus on a de valeur.
Mais le plus important n'est pas là. Cette première œuvre de groupe, après un solo remarqué, manifeste la maturité remarquable de cette jeune chorégraphe sénégalaise. Sur scène, cinq danseuses et un danseur. Ce qui s'annonce comme une danse du pur paraître se révèle beaucoup plus complexe. Dans un premier temps, pour l'essentiel, chacun danse seul, pour soi. C'est absolument extraordinaire de liberté et d'invention. Il faut bien laisser le temps nécessaire à cette merveille. Dans un deuxième temps, les corps se rapprochent, comme pris dans la nasse du social. Enfin, les femmes sont regroupées et, comme annoncé, se chamaillent. Mais la musique, excellente tout le long de la représentation, recouvre en grande partie la scène. 

« La vie est belle ! »  lâchera, doucement, avec délicatesse, face au public, une danseuse. C'est léger, mais c'est bouleversant. Il n'est pas sûr, qu'elle y croit totalement. Mais le dire c'est s'offrir le plus beau des cadeaux. On peut-doit montrer les guerres, famines, maladies, dictatures, et autres fléaux africains. Mais cela ne dit pas tout de ce continent. On doit laisser la place aux imaginaires contemporains africains quand ils sont aussi délicieux.  
Fabien Rivière

Le Bal du Cercle, de Fatou Cissé, Festival d'Avignon - In, Cloître des Carmes, du 16 au 23 juillet 2015. Site 

dimanche 19 juillet 2015

Angelin Preljocaj échoue à associer théâtre et danse (Retour à Berratham, Festival d'Avignon, In)



Retour à Berratham, d'Angelin Preljocaj, première représentation du 17 juillet 2015 - 
(photos 2 et 4) dessins du scénographe Adel Abdessemed - dossier de presse donné aux journalistes, Photos Fabien Rivière ©

« C'est consternant  ! », crie une spectatrice, quand le noir survient à la toute fin de la première de Retour à Berratham d'Angelin Preljocaj. Nous sommes dans la Cour d'honneur du Palais des Papes dans le cadre du Festival d'Avignon. Des huées nourries suivent, de toute la salle, puis des applaudissements, de même. Un accueil assez frais a ainsi été réservé à la création du chorégraphe français basé à Aix-en-Provence où il dirige une troupe de 24 danseurs permanents. 

Que s'est-il donc passé ? Angelin Preljocaj a renouvelé sa collaboration avec l'écrivain français Laurent Mauvignier, à qui il a commandé un texte, donnant la consigne d'une « tragédie épique contemporaine ». Le texte a paru le 4 juin aux éditions de Minuit sous le même titre. La première rencontre avait donné Ce que j'appelle oubli, en 2012. 

Quatorze interprètes investissent la scène, dont trois comédiens (Niels Schneider, Laurent Cazenave, déjà présent dans Ce que j'appelle oubli, et la suédoise Emma Gustafsson). Le texte est dit principalement par eux, mais aussi sporadiquement par les danseurs. Tous portant un micro cravate. Or, seul Niels Schneider est audible. Laurent Cazenave est plus en retrait, Emma Gustafsson plus atone, son accent n'arrangeant rien. On ne comprend le texte que de façon irrégulière, et, pour notre part, l'histoire nous est apparue incompréhensible  malgré le fait que nous étions au 4° rang, sinon que c'est la guerre. Interrogeant des spectateurs au hasard à la sortie, la plupart confiaient n'avoir rien compris, à deux exceptions.  
 
"Ça parle" pratiquement sans discontinuer durant 1h45, le théâtre écrasant malheureusement la danse. 

La scénographie a été confiée au plasticien franco-algérien Adel Abdessemed, dont le travail a été récemment montré au Centre Pompidou Paris, qui propose un no-man's land : un grillage en fond de plateau, qui se poursuit sur la droite et la gauche de la scène, au fond à gauche une carcasse calcinée noire de voiture, au fond à droite une autre carcasse calcinée noire, entre les deux des sacs poubelles noirs. 

Le statut de la femme pose question : elles sont le plus souvent habillées en gentilles robes, les hommes étant en pantalons, dans une stricte, et triste, division des rôles sexués. Elle sont infériorisées. On nous objectera que c'est l'histoire et le lieu supposé (l'Europe centrale), qui exigent cela. Nous n'en sommes pas sûrs. La scène de sexe est ainsi franchement peu ragoûtante, avec des femmes objets manipulées, alors que la "voix off" dit autre chose, parlant d'un homme tremblant... 



Nous avons récemment découvert, en juin au Théâtre de la Ville (Paris), la nouvelle création de la chorégraphe belge Anne Teresa De Keersmaeker - Compagnie Rosas, Golden Hours (as you like it) (site), qui travaille avec le morceau Golden Hours, extrait de l'album Another Green World de Brian Eno sorti en 1975 et As You Like It (Comme il vous plaira) de William Shakespeare. Chaque mot, et même chaque syllabe d'un mot a son équivalent corporel et dansé. Pour un résultat exceptionnel. À l'exact opposé du théâtre poussiéreux d'Angelin Preljocaj qui donne le sentiment d'ignorer toutes les recherches théâtrales mondiales les plus passionnantes existantes depuis 50 ans.
Fabien Rivière
Retour à Berratham, d'Angelin Preljocaj, Festival d'Avignon - In, Cour d'honneur du Palais des Papes, du 17 au 25 juillet 2015 (8 représentations). Site