jeudi 19 juillet 2018

Avignon - Rocío Molina mouline (« Grito Pelao »)

Vue du plateau de Grito Pelao de Rocío Molina avant le début de la représentation, Photo Fabien Rivière © 
Saluts, à l'issue de la représentation de Grito Pelao (de d.à g. : la mère de Rocío Molina Cruz Lola Cruz, Rocío Molina, et la chanteuse Silvia Pérez Cruz, et les quatre musiciens), Photo Fabien Rivière

Sans doute la danseuse et chorégraphe de flamenco Espagnole Rocío Molina déploie-t-elle beaucoup d'énergie pendant les deux heures de sa nouvelle pièce créée pour le Festival d'Avignon (In). Mais il manque un élément important : l'émotion. Le thème pourtant semble s'y prêter puisqu'il est question de sa maternité. Elle est en effet enceinte de seize semaines. Le cycle (de la tournée) s'achèvera au terme de 21 représentations en France et en Espagne (Barcelone, Malaga, Séville, Saragosse et Madrid), à Paris à Chaillot début octobre prochain (après Nîmes).

Trois scènes font exceptions : quand elle roule au sol doucement et de façon débridée (une jambe par-ci, un bras par-là) avec la chanteuse Sílvia Pérez Cruz ; quand, assise sur une chaise, très masculine, elle échange avec un musicien, debout, qui danse lui aussi ; quand elle disparaît puis réapparaît avec une longue barbe noire (cf. photo ci-dessous) : faut-il alors parler de femme à barbe, d'homme à barbe, ou de créature à barbe ? 

 Grito Pelao de Rocío Molina, Photo Christophe Raynaud de Lage - Festival d'Avignon

Sinon, aussi bien la danse, le chant et les paroles sont assez pauvres, comme les échanges avec la chanteuse et la propre mère de l'artiste présente sur le plateau (à l'opposé du May He Rise and Smell the Fragrance [en français, Puisse-t-il se relever et humer le parfum] du Libanais Ali Chahrour, cf. ICI). On est assez loin des avancées contemporaines d'Israel Galván (dont la dernière pièce a été programmée dans la Cour d'honneur du Palais des Papes l'année dernière). Faut-il parler de flamenco (de scène) old school ? Et comment l'expliquer ? D'une part, dans le dossier de presse, la danseuse donne des éléments de réponse :
« Pour danser, j'avais besoin de franchir une frontière de douleur, de mettre mon corps dans une situation extrême qui, une fois franchie, faisait cesser la douleur et me permettait d'atteindre un état dans lequel je pouvais danser.
Voilà deux ans que je m'efforçais d'appuyer sur la pédale de frein et d'assouplir la discipline. Freiner, ne pas m'éreinter, dormir. Au plan hormonal, j'allais très mal, j'avais l'air d'une sportive de haut niveau, mon corps était tendu. J'ai retrouvé le corps que j'avais perdu. Un corps si entraîné à la douleur que j'avais cessé de le sentir ; certaines nuits, je touchais mon bras et je ne sentais rien.  J'étais capable de répéter dix heures d'affilées, d'enchaîner dix représentations à la suite ... Mais j'ai cessé de sentir mon corps, j'ai perdu des cycles de sommeil, même au plan émotionnel je ne ressentais rien, c'était comme si mon corps économisait jusqu'à ses larmes. J'avais un corps puissant, très puissant. mais il était mort. »
Bref, elle n'a pas réussi à sortir de sa prison corporelle (et mentale). D'autre part, il est difficile de ne pas être frappé par un certain narcissisme qui ferme l'espace autour de soi, et qui fait qu'en plus on apprend rien sur l'artiste.    
Fabien Rivière

—  Grito Pelao, de Rocío Molina, du 6 au 10 juillet, Festival d'Avignon (In). ICI