vendredi 19 novembre 2021

Puissance du mystère chez Ali Chahrour (« The Love Behind My Eyes »)

The Love Behind My Eyes, Photo Lea Skayem 

Le libanais Ali Chahrour, 32 ans, qui vit à Beyrouth, a ouvert avec The Love Behind My Eyes le focus sur la création artistique dans le monde arabe que propose le Théâtre Jean Vilar à Vitry-sur-Seine sous la direction de Nathalie Huerta (6 - 14 novembre, ICI)

Pour l'occasion, le lieu s'est associé avec la Briqueterie - Centre de développement chorégraphique national du Val-de-Marne (CDCN), situé dans la même ville, qui présente l'œuvre. Cette structure connaît depuis septembre une sensible inflexion de sa programmation, grâce à sa nouvelle directrice, Sandra Neuveut.

Le chorégraphe clôt son second triptyque. Le premier est consacré à la place de la religion dans le monde arabe. Il comprend Fatmeh (conçue en 2014), Leïla se meurt (2015) (notre article) et May He Rise and Smell the Fragrance (2017) (notre article). 

Le second s'intéresse à l'amour. Il est constitué de Night [Nuit] (2019), Told by my mother [Raconté par ma mère] (2020), et The Love Behind My Eyes [L'amour derrière mes yeux] (2020).

Ce dernier est un trio nocturne. Enveloppé par la nuit. La nuit des hommes, si l'on préfère, métaphore de leurs délires, de leurs folies, constant hors-champ, invisible et muet, mais qui cadre l'espace du possible, toujours. 

Si le premier triptyque aborde la question de l'islam, dans l'espace public, le second triptyque suggère l'étude des relations privées. La religion est un espace de normes, de contrôles et d'interdits, de répression. Son opposé est la poésie, qui parle beaucoup d'amour, qui explore le désir, les désirs, les pulsions, la sexualité, les transgressions. La religion affirme savoir, et déploie sa force conquérante, quand la poésie cherche et doute, fragile espace de liberté. Le poète syrien installé en France Adonis, 91 ans, qui connait extrêmement bien l'histoire de l'islam explique dans son livre Violence et islam. Entretiens avec Houria Abdelouahed (2015, poche Points ICI), ce qui oppose les deux.  

Sur le plateau, en ouverture, il y a, complètement à droite, cette femme debout, de profil, petite et aux formes courbes, habillée de noir, qui lâche un chant lent et puissant, magnifique. Elle semble être sur une falaise, face à l'océan. Elle a besoin de tout cet espace pour libérer cette énergie vitale. 

Il y a aussi deux jeunes hommes, solides et barbus. Suit un art subtil de l'entrelacement des corps. S'agit-il de deux amants, ou de deux amis ? Puis la figure du Père surgit. Au fur et à mesure, l'identité des deux hommes se brouille : amants, amis, fils, pères ? Jusqu'à se dissoudre en deux entités, hors du temps et de l'espace. La pièce, physique, bascule alors vers la métaphysique. 
Fabien Rivière
The Love Behind My Eyes, d'Ali Chahrour, La Briqueterie, Vitry-sur-Seine (94), 9 novembre 2021. En savoir + 

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