lundi 20 juillet 2015

Le bonheur de la danse de Fatou Cissé ("Le Bal du Cercle", Festival d'Avignon, In)



(ci-dessus) Fatou Cissé, Photo Antoine Tempé


Le Bal du Cercle, de Fatou Cissé, Photos Christophe Raynaud de Lage - Festival d'Avignon

Ce  pourrait être une question pour bac de  philo  ou épreuve pour étudiants en arts : « Le sujet d'une œuvre doit-il correspondre à son contenu annoncé, et dans quelle mesure ? » Ainsi, il semble que certains " professionnels ", comme l'on dit, " professionnels de la profession " comme dit Godard, n'aient guère appréciés la distance, toute relative finalement, entre le sujet et l'œuvre. 

Dans le programme de salle, on trouve ainsi ces mots de Fatou Cissé
Le Bal du Cercle parle en effet d’un bal réservé aux femmes, le Tanebeer. En woloff, ce mot signifie « bal de nuit ». Il y a une autre étymologie plus rurale du mot : « la danse sous l’arbre ». Il s’agit d’une pratique ancestrale, organisée exclusivement par des femmes, en l’honneur du roi ou d’autres personnalités. 
Au tamis de la modernité, le sens et les formes de cette pratique ont connu une bascule : elle est désormais le fait de femmes des quartiers et s’inscrit dans un cadre domestique. Ce bal regroupe aujourd’hui des rivales qui, à travers lui, se livrent à des règlements de comptes, à des batailles qui ne sont pas corporelles, mais vestimentaires et esthétiques. C’est cette dimension et ce glissement qui m’intéressent. Le Tanebeer n’est donc plus simplement une fête, mais c’est surtout un endroit, une occasion pour montrer sa valeur. Les femmes s’y présentent bien habillées, bien pouponnées, pour montrer à leurs pairs ce qu’elles sont, ce qu’elles peuvent devenir au-delà de leur condition. Elles se libèrent de leur quotidien, généralement rythmé par les tâches domestiques, par le soin à la famille ou à la belle-famille. Pendant le Tanebeer, la plus humble des femmes peut être Miss Monde. Ce jeu de rôles est bien entendu façonné par les influences de la société de consommation : plus on brille, plus on exhibe de bijoux, et plus on a de valeur.
Mais le plus important n'est pas là. Cette première œuvre de groupe, après un solo remarqué, manifeste la maturité remarquable de cette jeune chorégraphe sénégalaise. Sur scène, cinq danseuses et un danseur. Ce qui s'annonce comme une danse du pur paraître se révèle beaucoup plus complexe. Dans un premier temps, pour l'essentiel, chacun danse seul, pour soi. C'est absolument extraordinaire de liberté et d'invention. Il faut bien laisser le temps nécessaire à cette merveille. Dans un deuxième temps, les corps se rapprochent, comme pris dans la nasse du social. Enfin, les femmes sont regroupées et, comme annoncé, se chamaillent. Mais la musique, excellente tout le long de la représentation, recouvre en grande partie la scène. 

« La vie est belle ! »  lâchera, doucement, avec délicatesse, face au public, une danseuse. C'est léger, mais c'est bouleversant. Il n'est pas sûr, qu'elle y croit totalement. Mais le dire c'est s'offrir le plus beau des cadeaux. On peut-doit montrer les guerres, famines, maladies, dictatures, et autres fléaux africains. Mais cela ne dit pas tout de ce continent. On doit laisser la place aux imaginaires contemporains africains quand ils sont aussi délicieux.  
Fabien Rivière

Le Bal du Cercle, de Fatou Cissé, Festival d'Avignon - In, Cloître des Carmes, du 16 au 23 juillet 2015. Site 

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