mercredi 15 septembre 2021

Danse élargie 21 : acte 2 (avec Smaïl Kanouté et Mellina Boubetra)

Saluts, Never Twenty One de Smaïl Kanouté, Photo Fabien Rivière

Danse élargie 21 se poursuit. La deuxième soirée s'est déroulée hier (dernière ce soir). De bonne tenue encore, avec respectivement Smaïl Kanouté et Mellina Boubetra (pour une présentation du projet général, et de la première soirée, on peut lire notre article Danse élargie 21 : de belles découvertes lors de la première soirée)

Quand on découvre le Never Twenty One de Smaïl Kanouté, 35 ans, plus précisément un extrait de 35 minutes, il peut sembler évident que le chorégraphe vient de Los Angeles (États-Unis), ou de Soweto (Afrique du Sud). Pas exactement, car c'est un Français qui vit à Paris. Les trois interprètes, Aston Bonaparte, Jérôme Fidelin aka Goku et le chorégraphe lui-même sont de solides gaillards noirs, les torses nus et les bras recouverts intégralement d'impressionnants tatouages, des lettres blanches, aux inscriptions énigmatiques. La gestuelle est très graphique, qui mobilise beaucoup les bras, tels des hiéroglyphes. Le plateau est absolument nu. S'agit-il de la cellule d'une prison, d'un entrepôt désaffecté ou d'un nowhere urbain ? 

Dans un premier temps les trois jeunes hommes semblent engager une discussion mystérieuse et silencieuse entre eux, dont la teneur ne nous est pas donnée, dans une certaine solidarité fraternelle. Des voix off donnent à entendre des témoignages poignants et tragiques, en anglais non traduit. À Paris, et plus largement en France, cela signifie que l'on ne comprend pas la teneur précise des propos. C'est un choix assumé de Smaïl Kanouté, qui nous confie : « Je ne veux pas tout donner ». Soit. C'est la distinction entre l'explicite et l'implicite. Entre un chorégraphe qui sait, et le spectateur en partie dépossédé. Il est possible de regretter passer partiellement à côté du réel. Compte tenu de la gravité du sujet, est-ce raisonnable ? 

Dans un second temps, un homme frappe un autre homme à terre, qui serait ainsi mort. Dans la nuit, un téléphone portable semble filmer le cadavre. Puis une lutte s'engage, à l'issue que l'on pressent tout aussi dramatique. Montrer la violence entre Noirs pose question. Comment montrer ? Comment éviter le déjà-vu et les clichés (racistes) ? Existe-t-il un regard (de) Blanc(s) ? C'est une question de cadrage dirait Godard. Smaïl Kanouté remarquait qu'il fallait voir la pièce en entier pour se faire une idée juste de sa création. Certes. Mais il faut pouvoir assumer aussi le sens d'un simple extrait. Par exemple, il fait état « de la grande urgence de création chez les jeunes qui vivent dans des environnements hostiles comme le Bronx, Soweto, les favelas de Rio de Janeiro ou La Goutte d'or à Paris. » Sauf que les ghettos américains sont des territoires constitués exclusivement de Noirs, où aucun Blanc ne pénètre. Le meurtre y est banal, dans l'indifférence des Blancs. Qui sont les grands absents de la pièce. Car ces errances et ces meurtres sont bien le résultat de politiques Blanches (par exemple la suppression des budgets sociaux). Il pourrait être pertinent que Smaïl Kanouté mobilise aussi les sciences sociales, avec par exemple Marx, Bourdieu, Loïc Wacquant, ou William Julius Wilson, ce professeur de sociologie à l'université de Chicago. L'élaboration universitaire n'est pas l'ennemie du sensible. 

Quoiqu'il en soit, il faut voir ce travail, dont on peut se demander si il ne participe pas de l'émergence d'une nouvelle génération de chorégraphes contemporains hip hop qui s'intéresse (enfin ?) au réel, plus précisément aux questions sociales. Rejoignant les questionnements de  l'exceptionnel chorégraphe brésilien Bruno Beltrão, qui aura 42 ans le 19 septembre (La physique des corps de Bruno Beltrão : « Inoah »), et de l'excellent français Iffra Dia (L'art d'Iffra Dia fait du bien).

Saluts, Rēhgma, de MellinaBoubetra et Noé Chapsal, Photo Fabien Rivière

Le Rēhgma de Mellina Boubetra est un duo qu'elle interprète avec Noé Chapsal. Ils dansent de dos, un temps, dans des tremblements prononcés qui suggèrent le trouble psychiatrique. Ce qui n'est sans doute pas l'effet recherché. Depuis trente ans, sauf erreur seule Trisha Brown a dansé (intégralement) de dos, dans If you could't see me, une merveille qui date de 1994, vu en plein air lors du Festival Montpellier danse. Ce soir, on peut penser un temps qu'il s'agit d'une représentation d'anciens du NDT (Nederlands Dans Theater, basé à La Haye, aux Pays-Bas), d'esprit néo-classique (même si on pourra objecter qu'il s'agit d'une compagnie de danse moderne). 
La musique est insistante, très directive. Puis, ils vont mobiliser un piano droit, dans un toucher qui nous a semblé très froid et dur. 
Fabien Rivière
  Never Twenty One de Smaïl Kanouté : 
EXTRAIT 35 minutes > Théâtre de la Ville - Théâtre des Abbesses, Paris, Danse élargie 21, 14 et 15 septembre 2021. En savoir +
VERSION LONGUE 1h > Espace 1789, Saint-Ouen (93), Festival Kalypso, 9 et 10 novembre 2021 20h. En savoir + 
— Rēhgma de Mellina Boubetra.  

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