lundi 24 octobre 2011

(1/4) Un groupe de jeunes "catholiques" investit le Théâtre de la Ville pour interdire la représentation de Sur le concept du visage du fils de Dieu, de Romeo Castellucci

Sur le concept du visage du fils de Dieu, de Romeo Castellucci, Photo Klaus Lefebvre

Le Théâtre de la Ville (Paris) ayant reçu un certain nombre de lettres protestant de la programmation du spectacle Sul concetto di volto nel figlio di Dio (Sur le concept du visage du fils de Dieu), de l'Italien Romeo Castellucci, et exigeant son annulation, le jour de la première, le jeudi 20 octobre 2011, un dispositif policier à l'extérieur du théâtre entendait le protéger et filtrait les entrées, avec trois fourgons de police devant le bâtiment, un bus sur le côté gauche et deux autres fourgons devant l'entrée des artistes, et des policiers en tenue et en civil.

Alain Escada exige l'interdiction du spectacle
Depuis, le théâtre doit faire face chaque jour de représentation à une organisation très structurée, en trois groupes. Un groupe violent avec, comme le décrit un communiqué de presse du théâtre, que nous avons décidé de publier in extenso (voir plus loin), "Tentative violente d’intrusion par des militants organisés, avec usage de gaz lacrymogènes" et "Enchaînement [aux] portes de la salle dans le but d’en empêcher l’accès" (le 20 octobre). Le deuxième soir, deux hommes étaient juchés sur une corniche située au-dessus des portes d’entrée (photo ICI) et interdisaient de fait l’accès au hall du théâtre, et se livraient à un "Jet d’huile de vidange et d’œufs sur le public lors de l’entrée pour la représentation". Un deuxième groupe distribue un tract (que nous publions aussi), signé d'Alain Escada de l'Institut Civitas, qui exige la déprogrammation du spectacle (et, excusez du peu, de toutes les représentations en France) ainsi que celui de Rodrigo García, Gólgota picnic, programmé du 8 au 17 décembre 2011 au Théâtre du Rond-Point à Paris (avec le Festival d'Automne à Paris). Alain Escada préside Belgique et Chrétienté, qui, selon ses statuts, prône « l'ordre moral » et « combat le racisme  antichrétien et le racisme antibelge ». Prévu initialement à 20h30, le spectacle de Castellucci débute finalement après 21h. Un troisième groupe agit à l'intérieur : au bout de quelques minutes, une bande d'une dizaine de personnes, constituée uniquement de jeunes hommes et deux femmes (le 20 octobre), monte sur scène, déploît une banderole où l'on peut lire "CHRISTIANOPHOBIE ÇA SUFFIT !", bousculant des éléments de décor, s'agenouille et se tient les uns les autres par les bras (pour être plus difficilement délogeable), et commence à prier (photo ICI et , et ci-dessous), provocant une vive réaction des spectateurs (rappelons qu'il s'agit d'une salle de mille places). Le public scande « Dehors ! Dehors ! » et « Liberté d'expression ! Liberté d'expression ! ». La police en tenue intervient – elle est applaudie par le public – et fait sortir les individus. Le spectacle reprend un peu plus tard et va jusqu'à son terme sans incident. Mais le dispositif de protection de l'œuvre et du public aura été pris en défaut.
Irruption sur la scène du Théâtre de la Ville pendant Sur le concept du visage du fils de Dieu, de Romeo Castellucci, 20 octobre 2011, Capture d'écran Espaces Magnétiques (vidéo en fin d'article, du Renouveau français)
Une vidéo mise en ligne sur You Tube le samedi 22 octobre vers 16h revendique l'intervention du 20 octobre comme étant celle des jeunes du Renouveau français, dont le slogan est : « Le nationalisme traditionnel et moderne ». Ce groupe catholique, qui souhaite la « conformité des lois à la morale chrétienne », a été fondé en novembre 2005. Il est opposé au métissage et aux « extrémistes homos » (lors d'une manifestation en 2010, ces militants criaient « Pédés, Pédés, foutez-nous la paix ! », « Pas de défilé pour les enfilés ! », « Pas de défilé pour les enculés ! », « Nous sommes tous des enfants d'hétéros ! »). (Plus de détails sur le mouvement ICI)
Le Renouveau français a revendiqué l'action du 20 octobre au Théâtre de la Ville (Paris)
Le samedi 22 octobre, nous avons pu observer vers 22h20, à l'issue de la troisième représentation, un groupe d'une vingtaine de personnes constitué uniquement de jeunes (hommes et femmes), tenu à distance par des policiers en tenue, scander, sur la place du Châtelet qui fait face au théâtre : « Cathophobie, ça suffit ! »

Cette action appelle plusieurs remarques. Voici un groupe de quelques dizaines de personnes qui jugent un spectacle qu'ils n'ont pas vus (au passage, on voit les limites de la simple lecture de la presse pour se faire une opinion d'un spectacle, qui plus est pour agir en commando contre), et obéissent bêtement à une injonction de censure. On peut se demander ce qui les autorise à imposer leurs diktats aux 990 spectateurs  présents. Et cela chaque soir (10 représentations sont prévues). Ce n'est pas sans rappeler la censure préalable des spectacles qui existait jadis, et l'intolérance et la violence religieuse catholique qui a imposé sa loi durant une très longue période de l'histoire de France, jusqu'à ce que la loi de 1905 de séparation de l'Église et de l'État n'y mette un terme bienvenu.  

Il se trouve que nous avons eu la chance de voir la pièce de Castellucci lors du dernier festival d'Avignon (In), qui plus est lors d'une représentation "tranquille", c'est-à-dire sans mouvements d'humeurs agressifs de tel ou tel dans le public. Et nous ne voyons pas en quoi ce travail remarquable est « blasphématoire », pour reprendre l'expression du tract distribué. Où l'on peut lire aussi ceci : « C'est du Christ qu'il s'agit. Celui qui est Notre Seigneur. Qui laisserait sans réagir un être qu'il aime se faire insulter, humilier ? Cela nous est insupportable. » Un logo indique aussi "Défendons le Christ". Il est mensonger de prétendre que le Christ soit "insulté" et "humilié". On peut saisir la Justice, c'est-à-dire mobiliser le Droit, et non pas se faire justice soi-même. C'est justement ce qui a été fait. La demande d'interdiction a été refusée, par une décision du Tribunal de Grande Instance en date du 18 octobre 2011. Quant à se penser comme le défenseur du Christ quand on porte autant de haine en soi, c'est oublier le message d'Amour et de non violence de ce dernier. En programmant cette œuvre, le Théâtre de la Ville ne fait que son travail, poursuivant l'exigence qui est la sienne depuis sa fondation en 1968, et qui l'honore. Nous regrettons simplement que la scène où des enfants jettent sur la toile peinte représentant un visage du Christ des grenades dégoupillées ait disparue (une photo ICI). 


Bref, voici des individus (dans le cadre d'organisations très structurées) qui n'ont rien compris à un spectacle qu'ils n'ont pas vus, et qu'ils ne veulent d'ailleurs pas voir, exigeant que l'on interdise à quiconque de le voir. Ils n'ont rien compris non plus au texte biblique. Par une ironie de l'histoire, ils se retrouvent être les blasphémateurs qu'ils dénoncent.
Théâtre de la Ville (Paris), 10 octobre 2011, 23 heures, Photo Espaces Magnétiques  
Affiche arrachée de Sul concetto di volto nel figlio di Dio, façade du Théâtre de la Ville, 
20 octobre 2011 au soir, Photo Espaces Magnétiques 
ON PEUT CONSULTER AUSSI 
▷ Sul concetto di volto nel figlio di Dio : le choc Castelluccitoutelaculture.com, 21 octobre 2011. ICI
▷ Prises d’otages au Théâtre de la Ville, blog de Judith Sibony - lemonde.fr, 21 octobre 2011.  ICI
Une pièce de théâtre perturbée par des intégristes, Dominique Greiner, La Croix, 21 octobre 2011. ICI
▷ Le théâtre à son tour ciblé par les fatwas culturelles des fondamentalistes chrétiens, Luc Carpentier, Le Monde, 21 octobre 2011.  ICI
L'Action Française crie au sacrilège au Théâtre de la ville, Luc Le Chatelier, Télérama, 21 octobre 2011. ICI 
▷ Des fondamentalistes chrétiens boycottent le "Shit Christ" de Romeo Castellucci, Patrick Sourd, Les Inrocks, 21 octobre 2011. ICI
Polémique autour du dernier Castellucci, non signé, Premiere.fr, 21 octobre 2011. ICI
▷ À L'ISSUE DE LA DEUXIÈME REPRÉSENTATION Paris : des intégristes chrétiens interpellés, Stéphane Sellami, Le Parisien, 21 octobre 2011. ICI
▷ Des cathos intégristes menacent le public du Théâtre de la ville de Paris, Thomas Schlesser, Rue89, 22 octobre 2011. ICI
▷ Pièce de théâtre perturbée par des fondamentalistes : condamnation du ministère [de la Culture], non signé, AFP, 22 octobre 2011. ICI
La mairie de Paris [et le Théâtre de la Ville] porte plainte contre un groupe de fondamentalistes chrétiens, non signé, Lemonde.fr avec AFP, 22 octobre 2011. ICI
▷ La Ville de Paris et le Théâtre de la Ville portent plainte suite aux perturbations lors de la pièce "Sur le Concept du Visage du Fils de Dieu", Mairie de Paris, 22 octobre 2011. ICI 
▷ Réaction de Frédéric Mitterrand sur les perturbations de la représentation de la pièce de Romeo Castellucci au Théâtre de la Ville, Ministère de la Culture et de la Communication, 22 octobre 2011. ICI
Théâtre de la Ville : gestes violents contre le spectacle de Romeo Castellucci, Armelle Héliot, Blog Théâtre du Figaro, 23 octobre 2011. ICI
▷ Manifestations de catholiques au Théâtre de la Ville, Raphaël de Gubernatis, Nouvel Observateur, 23 octobre 2011. ICI
Le théâtre de la Ville pris en otage par les fous de Dieu, Jack Dion, Marianne pour Marianne 2, 23 octobre 2011. ICI
 Des fondamentalistes chrétiens s'attaquent au théâtre de la Ville, non signé, L'Humanité, 23 octobre 2011. ICI
 Pour les réactions de lecteurs/lectrices, Médiapart, 23 octobre 2011. ICI
 Le Renouveau français revendique la perturbation du spectacle de Romeo Castellucci, Abel Mestre & Caroline Monnot - journalistes au "Monde", Blog Droite(s) extrême(s), 24 octobre 2011. ICI
 Le blog du TadorneICI
                                                                                                                                
COMMUNIQUÉ DE PRESSE 
À propos des perturbations au Théâtre de la Ville-Paris
 [samedi 22 octobre 2011 au soir]
Les premières représentations du spectacle de Romeo Castellucci « Sur le concept du visage du fils de Dieu » au Théâtre de la Ville, ont été gravement perturbées par des groupes organisés au nom de la religion chrétienne.  Leur demande d’interdiction du spectacle par voie de justice ayant été déboutée par une décision du Tribunal de Grande Instance en date du 18 octobre 2011.

Nous considérons qu’il ne s’agit pas de la simple perturbation d’un spectacle, mais d’actes violents visant à interdire l’accès du public au Théâtre de la Ville en s’en prenant aux personnes et aux biens :

Jeudi 20 octobre
-         Tentative violente d’intrusion par des militants organisés, avec usage de gaz lacrymogènes.
-         Enchaînement des portes de la salle dans le but d’en empêcher l’accès.
-         Utilisation de boules puantes.
-         Distribution de tracts dénonçant le prétendu caractère « christianophobe » du spectacle, reposant sur des allégations entièrement mensongères.
-         Envahissement de la scène du théâtre par 9 activistes interrompant la représentation.

Devant les nombreuses menaces collectives ou personnelles que nous avons reçues depuis plusieurs semaines, faisant suite à l’odieuse campagne menée par Civitas, j’ai demandé à la Mairie de Paris de prendre des mesures susceptibles de garantir la sécurité du public, du personnel et des artistes tout en nous permettant d’assurer le maintien des représentations.

La présence des forces de police a permis de neutraliser les militants les plus violents. Lors de l’envahissement de la scène, devant l’impossibilité d’obtenir un départ dans le calme et sans violence et afin de prévenir un affrontement entre les manifestants et le public, j’ai demandé l’intervention de forces de l’ordre. Après l’évacuation des perturbateurs, la représentation a pu reprendre et se poursuivre jusqu’à son terme.

Vendredi 21 octobre
-         Jet d’huile de vidange et d’œufs sur le public lors de l’entrée pour la représentation.
-         Distribution de tracts.

Dans l’attente de l’intervention de la police pour déloger les agresseurs qui étaient juchés sur une corniche située au-dessus des portes d’entrée et interdisant l’accès au hall du théâtre, nous avons aménagé l’entrée du public par une issue de secours. Mais cela a pris énormément de temps et entraîné un retard de plus d’une heure de la représentation qui s’est finalement déroulée sans troubles.

Samedi 22 octobre
Démarrage de la représentation avec 30’ de retard.
Nouvel envahissement de la scène du théâtre par un groupuscule interrompant la représentation.
Evacuation dans le calme. Reprise du spectacle.

Avant d’arriver en France, le spectacle a été présenté en Allemagne, en Belgique, en Norvège, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Russie, aux Pays-Bas, en Grèce, en Suisse, en Italie et en Pologne. Il n’a pas suscité la moindre réaction analogue à celles que nous déplorons aujourd’hui.

Ces agissements à caractère fascisant sont absolument inadmissibles.

Mes collaborateurs et moi-même, en plein accord avec Romeo Castellucci et son équipe, ainsi que l’ensemble du personnel du théâtre, ne céderons sous aucun prétexte à ces menaces et à cette intimidation. Nous entendons défendre la liberté d’expression, les droits du théâtre, et la mission qui est la nôtre face à cette terreur. Nous entendons exercer pleinement nos droits et réclamer aux fauteurs de trouble réparation des dommages et préjudices importants qu’ils nous occasionnent.

Je tiens également à saluer l’attitude du public lors des deux premières représentations. Face à l’agression verbale, puis physique dont ils étaient l’objet, ils ont réagi avec calme et ont observé avec patience les mesures de contrôle que nous avons été contraints de mettre en place.

Les représentations du spectacle se poursuivront jusqu’au 30 octobre au Théâtre de la Ville. Je souhaite que le public continue à venir découvrir le travail d’un grand artiste que nous sommes fiers de soutenir et d’accompagner.

Emmanuel Demarcy-Mota
Directeur du Théâtre de la Ville
                                                                                                                               
COMMUNIQUÉ de ROMEO CASTELLUCCI

Je veux pardonner à ceux qui ont essayé par la violence d'empêcher le public d'avoir accès au Théâtre de la Ville à Paris.

Je leur pardonne car ils ne savent pas ce qu'ils font.

Ils n'ont jamais vu le spectacle ; ils ne savent pas qu'il est spirituel et christique ; c'est-à-dire porteur de l'image du Christ. Je ne cherche pas de raccourcis et je déteste la provocation. Pour cette raison, je ne peux accepter la caricature et l'effrayante simplification effectuées par ces personnes. Mais je leur pardonne car ils sont ignorants, et leur ignorance est d'autant plus arrogante et néfaste qu'elle fait appel à la foi. Ces personnes sont dépourvues de la foi catholique même sur le plan doctrinal et dogmatique ; ils croient à tort défendre les symboles d'une identité perdue, en brandissant menace et violence. Elle est très forte la mobilisation irrationnelle qui s'organise et s'impose par la violence.

Désolé, mais l'art n'est champion que de la liberté d'expression.

Ce spectacle est une réflexion sur la déchéance de la beauté, sur le mystère de la fin. Les excréments dont le vieux père incontinent se souille ne sont que la métaphore du martyre humain comme condition ultime et réelle. Le visage du Christ illumine tout ceci par la puissance de son regard et interroge chaque spectateur en profondeur. C'est ce regard qui dérange et met à nu ; certainement pas la couleur marron dont l'artifice évident représente les matières fécales. En même temps, et je dois le dire avec clarté, il est complètement faux qu'on salisse le visage du Christ avec les excréments dans le spectacle.

Ceux qui ont assisté à la représentation ont pu voir la coulée finale d'un voile d'encre noir, descendant sur le tableau tel un suaire nocturne.

Cette image du Christ de la douleur n'appartient pas à l'illustration anesthésiée de la doctrine dogmatique de la foi. Ce Christ interroge en tant qu'image vivante, et certainement il divise et continuera à diviser. De plus, je tiens à remercier le Théâtre de la Ville en la personne d'Emmanuel Demarcy-Mota, pour tous les efforts qui sont faits afin de garantir l'intégrité des spectateurs et des acteurs.

Romeo Castellucci
Socìetas Raffaello Sanzio

Paris, le 22 octobre 2011
                                                                                                                               
Entretien avec Romeo Castellucci 
Propos recueillis par Jean-Louis Perrier pour le Festival d'Avignon (In) 2011 

Qu’est-ce qui est à l’origine de votre nouvelle création, Sur le concept du visage du fils de Dieu? 
Romeo Castellucci: Un tableau, le Salvator Mundi, peint par Antonello da Messina. Un jour, en feuilletant un livre, je suis tombé sur ce portrait de Jésus que j’avais étudié des années auparavant, aux Beaux-Arts de Bologne. J’ai littéralement été saisi par ce regard qui plonge dans vos yeux : j’ai marqué une pause, très longue, qui n’avait rien de naturelle et j’ai compris qu’une rencontre s’opérait. Je n’étais pas seulement devant une page de l’histoire de l’art, mais devant autre chose. Il y avait un appel dans ce regard. C’était lui qui me regardait, tout simplement. Dans Sur le concept du visage du fils de Dieu, ce regard du Christ est central et rencontre chaque spectateur, individuellement. Le spectateur est sans cesse observé par le fils de Dieu. 
Sous ce regard, vous placez une scène de vie terriblement triviale… 
L’axe entre le portrait et le spectateur croise en effet celui tracé entre un père incontinent et son fils qui doit partir au travail, alors même que son père est victime d’une crise de dysenterie. Le rapport entre le spectateur et le portrait du Christ, qui veille avec bienveillance sur lui, est ainsi entraîné dans une turbulence provoquée par le débordement du père. Je voulais comprendre l’amour et la lumière dans cette condition de perte. L’incontinence du père est une perte de substance, une perte de soi. Ce n’est pas la mort, mais elle fait tout autant souffrir.  
Vous situez-vous plutôt du côté du père ou du côté du fils ? 
Dans ce cas-là, je crois, du côté du fils. Dans ce que l’on peut ressentir, on s’identifie plus facilement au fils : chacun est seul face à la merde et celle de l’autre devient la nôtre parce qu’elle représente un lien avec lui. Il y a nécessairement un transfert qui s’opère entre le spectateur et le fils. Le spectateur doit faire face aux sentiments qui animent le fils, c’est-à-dire la patience, la pitié, l’amour, mais aussi la colère et la haine. Puis il y a une rupture dans la pièce : la dimension scatologique dépasse alors tout réalisme et la situation devient métaphysique. On passe de la scatologie à l’eschatologie et l’on bascule dans une dimension métaphorique de l’œuvre. 
L’atmosphère de Sur le concept du visage du fils de Dieu n’est pas sans rappeler celle de Purgatorio ? Avez-vous consciemment souhaité raccorder ces deux spectacles ? 
Oui, c’est totalement volontaire. Entre ces deux propositions, l’esprit est différent, mais la forme est proche. Une situation qui se déploie en un long plan-séquence. Un homme mis devant d’autres hommes – les spectateurs –, qui, par un effet de miroir, se retrouvent eux-mêmes mis à nus. 
Si cette pièce joue sur le miroir, elle joue aussi sur les contrastes ? 
Cette pièce est à la fois l’expérience d’une profonde humiliation – celle du père qui ne peut plus se retenir et laisse filer dans son flot de matière sa dignité – et celle d’une profonde manifestation d’amour – celle du fils – qui vient illuminer la situation, telle une lumière divine. C’est au spectateur de répondre à l’énigme qui lui est posée.
Votre théâtre essaie-t-il d’approcher l’ineffable ? 
Au théâtre, on est face à l’ineffable, bien sûr, comme dans tout art. Sinon, on tombe dans le descriptif, dans les objets, dans le domaine de la communication ou dans celui des médias. 
Mais vous avez besoin d’éléments pour approcher l’ineffable, vous avez besoin d’objets… 
C’est une contradiction merveilleuse : pour dire toute la puissance qui réside dans le fait de ne pas dire, il faut le dire. Il faut des objets, il faut de la matière, il faut de la merde, il faut de la vulgarité et cette vulgarité s’illumine par la simple conscience d’être face à l’ineffable. 
Pensez-vous que le théâtre puisse approcher le sacré ? 
Oui, mais ce n’est pas un sacré doctrinal. On ne peut pas vraiment le saisir. Il est là. C’est une épiphanie individuelle propre au spectateur. Mais il est bien là, dans la rencontre entre l’image qui n’est jamais donnée et celui qui la regarde. On se situe au-delà du mysticisme. C’est autre chose, car le rôle du théâtre n’est pas d’offrir un quelconque salut. 
Comment concevez-vous votre rôle d’artiste ? 
Je pense que l’artiste doit disparaître derrière son œuvre. 
       DOCUMENTS                
▶ TRACT DISTRIBUÉ AUX SPECTATEURS
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▶ VIDÉO nommée «Des jeunes du Renouveau Français interrompent Castellucci», 
compte « renouveaufrancais » sur You Tube.

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