lundi 13 octobre 2025

«Entre-Temps», la métamorphose de Philippe Decouflé

Entre-Temps, Photo Pierre Planchenault


Philippe Decouflé reçoit le public depuis le 9 octobre à la Villette à Paris à l’espace Chapiteaux, le long du canal de l’Ourcq, où il présente sa nouvelle création, Entre-Temps, pour une série de 14 représentations. Accueillir le public est chez lui un art, tonique et doux. Avant la représentation, dans la salle, au pied de la scène à gauche un DJ debout et de dos devant sa platine, balance du bon son, différent chaque soir, d'avant les années 90, comme par exemple The Clash, Moustaki ou issu de West Side Story ou Grease. Devant le rideau de scène baissé, un homme en costume noir, cheveux poivre et sel, cravate noire avec motifs blancs, portant un loup se dandine en essayant de suivre le flot musical. Notre Fantomas se nomme Philippe Decouflé. 


La scène révèle au sol un parquet ancien comme celui d’une salle de bal. Quand on lève les yeux, c’est plutôt un château du temps du cinéma muet, vide, et hanté ? 


Concernant les neuf interprètes, on citera le danseur et chorégraphe Dominique Bagouet remarquant un jour qu’il travaillait jadis avec des danseurs, mais maintenant avec des êtres humains dansants. C’est ce qui frappe ici. D’ailleurs, il n’y a pas eu d’audition. Le chorégraphe a contacté les interprètes, expérimentés, de 40 à plus de 70 ans, qu’il connaît bien. Il déclare d’ailleurs : « Travailler avec des danseurs un peu plus mûrs, ça donne de la profondeur, ils ont une vraie personnalité sur scène. (…) Chez moi, ce qui est politique, c’est de montrer qu'un danseur de 70 ans, c'est extraordinaire. Il faut sortir des archétypes sur la beauté » (Sud Ouest, 10 avril 2025, ICI)


Il précise aussi un point important : « Mais après, c'est vrai que ce n'est pas mon truc de revendiquer des choses sur un plateau, je suis un saltimbanque et j'en suis content. J'aime cette dimension de divertissement. Il y a un trop grand écart entre le spectacle dit intelligent, culturel et le spectacle populaire. Le spectacle populaire tire trop sur des ficelles idiotes et le spectacle pointu refuse d'être spectaculaire. » (idem)   


Dominique Boivin dans Entre-Temps, Photo Jean Vermeulen

Il a aussi renouvelé son équipe qui l’entoure hors plateau, qu’il qualifiait lors de la précédente pièce, Stéréo, d‘« équipe exceptionnelle. On se connaît tous depuis des années », ne gardant que le décorateur Jean Rabasse. 


La passion de la musique est toujours présente, entre culture populaire et culture savante, avec Kraftwerk, The Doors, Supertramp, Madonna, Bach, Haydn, Liszt, Rameau (avec Gavotte en La Mineur), Prokofiev, Michel Legrand, Sébastien Lagrange, enregistrée ou jouée live par l’exceptionnel pianiste à la vitalité contagieuse Gwendal Giguelay. Il accompagne le cours de danse de Peter Goss du jeudi que suit Decouflé. 


Eric Martin, Visuel associé à Entre-Temps, par Olivier Simola


La danse est surprenante, dans son dépouillement, qui défend une humanité émouvante. On se croise, on écarte les bras doucement, et on n’a pas peur de se prendre dans les bras. De longues marches toniques. Et soudain un ‘’solo’’ sublime d’Eric Martin, sur les 8 minutes et 25 secondes du O Superman de Laurie Anderson, répétitif, follement sensuel et inquiet (album Big Science, en 1982). Il est suivi par un magnifique solo de Dominique Boivin sur le Knee 1 de la pièce de Bob Wilson Einstein on the Beach, musique de Philipp Glass. Decouflé a demandé au premier quelle musique avait changé sa vie. Il a proposé ce morceau et créé cette danse. Génie du danseur. Le second, danseur et chorégraphe, a ressuscité du matériel ancien. Il y a aussi ces danses populaires bretonnes, enivrantes.  


Catherine Legrand, Visuel associé à Entre-Temps, par Olivier Simola

Deux autres figures importantes de l’histoire de la danse contemporaine sont aussi de la partie. Catherine Legrand a débuté sa carrière d’interprète avec Dominique Bagouet, qu’elle accompagne de 1982 jusqu’à la fin tragique de ce dernier le 9 décembre 1992, et au-delà. Elle transmet sa danse, cette tenue si particulière du corps, ces bras qui s’élèvent vers le ciel avec tellement de douceur. Michèle Prélonge travaille avec Régine Chopinot, d’ailleurs présente le soir de la première, à partir de 1980 pendant six ans. Elle participe ainsi à la création de Halley’s comet, Appel d’air, Swim one, Grand écart, Délices, Via, Le défilé ou encore À La Rochelle, il n’y a pas que des pucelles. Depuis 2000, elle se considère comme une danseuse « épisodique et vintage ». Par exemple, elle prend en charge en 2002 les archives de Régine Chopinot dans le cadre du centre chorégraphique national de La Rochelle. 


La seconde partie mélange la lumière à l’ombre, la vie à la mort. Le temps passe, comme l’on dit, et on sait le chemin qui mène à quel but, radical. Le chorégraphe donne le sentiment d’avoir lâché prise, c’est-à-dire ayant enfin réussi à assumer sa face solaire et sa face inquiète. Il n’est plus le joyeux drille qui produit de l’entertainment. Pas de pathos ni de pathétique, cependant. La vie, simplement, et c’est bouleversant.  

Fabien Rivière

Vu le 9 octobre 2025

Entre-Temps, de Philippe Decouflé, espace Chapiteaux, La Villette, Paris, du 9 au 26 octobre 2025. En savoir + 


DISTRIBUTION : 

Conception et mise en scène Philippe Decouflé 

Assistante Violette Wanty 


De et avec Dominique Boivin, Meritxell Checa Esteban, Catherine Legrand, Éric Martin, Alexandra Naudet, Michèle Prélonge, Yan Raballand, Lisa Robert, Christophe Waksmann 

et au piano Gwendal Giguelay 

Avec la participation d’un groupe de volontaires amateurs 


Lumière direction technique Begoña Garcia Navas 

Décor Jean Rabasse assisté d’Aurélia Michelin 

Costumes Anatole Badiali 

Musiques originales Gwendal Giguelay, XtroniK, Guillaume Duguet 

Montage des voix Alice Roland 


Régie plateau Léon Bony 

Régie lumière Grégory Vanheulle 

Régie son et bruitages Guillaume Duguet 

Direction de production et coordination Frank Piquard 

Production Sarah Bosquillon, Jérémy Kaeser, Julie Viala, Jeanne Ferrante 

Régie générale Chaufferie Antoine Cherix 


Accessoires Lahlou Benamirouche 

Construction Guillaume Troublé, Léon Bony, Matthieu Bony 

Costumiers Jean Malo, Jean Baptiste, Arnaud Coeuff, Aurélie Conti 

Stagiaire Costumes Cécilia Bouchez 

Accessoires costumes Eugénie Delorme, Prisca Razafindrakoto 

Peinture Katia Siebert, David Nouyrit, Sylvie Mitault, Margot Gillot, Jean Lynch 

Couturières Décor Solange Comiti, Deborah Tuil 

Chauffeur Gilles Maron


TOURNÉE 2026 : 
— 7 - 9 janvier, MC2: Grenoble  En savoir +
— 15 - 17 janvier, Bonlieu Scène Nationale, Annecy  En savoir +
— 29 janvier - 1er février, anthéa Antipolis, Théâtre d’Antibes En savoir + 
— 25 - 28 février, La Comédie de Clermont-Ferrand  En savoir +
— 4 au 6 mars, Maison de la Culture d’Amiens  En savoir +
— 25 - 29 mars, Théâtre de Caen  En savoir +
— 16 - 17 avril, Théâtres de la Ville de Luxembourg  En savoir +