Une fois n'est pas coutume : on connaît la bande-son d'une prochaine création d'un chorégraphe, en l'occurence, William Forsythe, qui présentera le 7 mars prochain à Boston (États-Unis) une nouvelle création, Playlist (EP) (ICI), pour le Boston Ballet dans le cadre de son partenariat de cinq ans (ICI), puis à Paris un mois après au Théâtre des Champs-Élysées (ICI).
Sans doute, les noms des musiciens Peven Everett, Abra, Cole King et Tunji Igeou du duo Lion Babe ne disent pas grand chose à grand monde, mais ce n'est pas très grave puisque nous vous proposons d'écouter tous les morceaux ci-dessous. Quand le chorégraphe dirigeait le Ballet de Francfort (de 1984 à 2004), il a longtemps travaillé avec le même musicien, Thom Willems, un Hollandais. Pour Playlist, il pioche dans la musique américaine produite ce siècle, dans la veine musicale de son Blake Works I créé pour le Ballet de l'Opéra national de Paris en juillet 2016 sur le son du jeune Britannique James Blake.
* Duo américain composé de la chanteuse Jillian Hervey et du producteur de disques Lucas Goodman. Jax Jones est un DJ anglais, producteur de disques, compositeur et remixeur.
— AbraVegas et Pull Up Abra
— Cole King et Tunji IgeNothin Changed Tunji Ige et Cole King (de gauche à droite)
William Forsythe, décembre 2017, Capture d'écran Espaces Magnétiques (vidéo ci-dessous)
William Forsythe rencontre le Boston Ballet (le directeur, Mikko Nissinen, est à droite, en noir), Photo Liza Voll
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Le partenariat de 5 ans entre le chorégraphe William Forsythe et le Boston Ballet (États-Unis) se poursuit (ICI). Il a débuté le 23 février 2017 avec Artifact 2017 (on peut lire notre Réussite - William Forsythe présente «Artifact 2017» à Boston) (ICI), et se prolonge avecPas/Parts 2016 du 9 mars au 7 avril 2018 dans une soirée partagée (ICI). L'acte 3 du partenariat passera en mars 2019 par un programme de trois pièces. Ainsi, du 7 au 17 mars 2019 on pourra ainsi (re)voir Blake Works I, sur la musique de James Blake, créé pour le Ballet de l'Opéra national de Paris en 2016 et visible pour la première fois aux États-Unis, Artifact Suite, qui est présenté comme« une compilation de mouvements » (« compilation of movements ») d'Artifact et une création mondiale dont on ne sait rien pour le moment (ICI). Le Boston Ballet sera à Paris le mois suivant au Théâtre des Champs-Élysées pour trois représentations d'un programme Jiří Kylián avec Wings of Wax et William Forsythe avec Pas/Parts 2018 et cette création En savoir +
Par ailleurs, The Institute of Contemporary Art/Boston présentera l'exposition William Forsythe: Choreographic Objects, la première du genre par son ampleur aux États-Unis, du 31 octobre 2018 au 24 février 2019 (ICI). Elle reprendra une grande partie de l'exposition à Francfort au Museum für Moderne Kunst [Musée d'Art Moderne],William Forsythe The Fact of Matter, proposée d'octobre 2015 à mars 2016 (ICI, et catalogue ICI).
Fabien Rivère
Pas/Parts 2016 sera présenté du 9 mars au 7 avril 2018
Artifact, de William Forsythe, Photo Dieter Schwer
Répétition de Artifact 2017 : au premier plan Patrick Yocum et Misa Kuranaga (Boston Ballet), second plan la répétitrice Kathryn Bennetts et William Forsythe, photo Liza Voll, courtesy of Boston Ballet
Boston se situe à 300 km au nord-est de New York et 400 km au sud-est de Montréal
— Envoyé spécial à Boston (Massachusetts), États-Unis William Forsythe a débuté son partenariat (« partnership ») de cinq ans avec le Ballet de Boston (Partenariat de William Forsythe avec le Boston Ballet) ce 23 février avec Artifact 2017, présenté jusqu'au 5 mars, qui reprend Artifact, une pièce de 1984. La compagnie a déjà proposé 5 pièces du chorégraphe (détails en fin d'article) dans la volonté de constituer un répertoire. Une nouvelle pièce sera ainsi montée chaque année, et, dans l'idéal, une création verra le jour. Certains parleraient de « reprises » mais comme le remarquait justement une ouvreuse le soir de la première il s'agit bien pour le public d'un nouveau ballet.
LE BOSTON BALLET
William Forsythe (à gauche) et Mikko Nissinen, le directeur artistique
du Boston Ballet, Photo Liza Voll
Le Ballet de Boston, ou Boston Ballet, est l'une des plus grandes compagnie de ballet des États-Unis, même si elle est peu connue en France. Sa dernière venue dans notre pays date d'il y a presque vingt ans, en 1998, à Biarritz lors du Festival le temps d'aimer la danse. Rappelons que Boston est située à 300 kilomètres au nord-est de New York. C'est la capitale de l'état du Massachusetts. Elle compte 660.000 habitants pour une aire urbaine de 4.670.000 personnes. Le Ballet de Boston a été fondé en 1963, et est dirigé depuis 2001 par le finlandais Mikko Nissinen (photo ci-dessus).C'est un ancien danseur qui s’est formé dans son pays et à l'école du Ballet du Kirov à Saint-Pétersbourg. Il a dansé dix-neuf ans, successivement au Ballet national finlandais, au Ballet national néerlandais, au Ballet de Bâle (Suisse) et au San Francisco Ballet comme principal (étoile) et comme invité dans différentes compagnies. La troupe compte actuellement 56 interprètes (68 si l'on y intègre les 12 membres du Boston Ballet II qui ont de 16 à 21 ans). Le Boston Ballet compte 18 nationalités : 27 viennent des États-Unis (un peu moins de la moitié de l'effectif total), 4 de Georgie, 4 de Corée du Sud, 3 du Japon, 2 de France (Anaïs ChalendardICIet Florimond Lorieux ICI), 2 d'Australie, 2 du Brésil, 2 d'Italie, et 1 pour l'Argentine, la Finlande, l'Albanie, Cuba, la Hongrie, la Chine, le Paraguay, l'Espagne, la Belgique et le Danemark. Il existe une hiérarchie qui débute à "artists", se poursuit à "second soloists", "soloists", pour atteindre "principal dancers" (étoiles). Depuis 2005 Jorma Elo (Finlande) est « chorégraphe résident » au Boston Ballet. Il existe aussi une École du Boston Ballet (Boston Ballet School). En comparaison le Ballet de l'Opéra national de Paris compte 154 danseurs, le New York City Ballet une centaine, l'American Ballet Theatre 95, le San Francisco Ballet 78, l'Alvin Ailey American Dance Theater une trentaine et le L.A. Dance Project de Benjamin Millepied 9.
MONEY
Un article du New York Times en 2011 (ICI) rendait compte en détail des problèmes financiers qu'a dû affronter le directeur du Ballet de Boston. Dans une interview à un site français il y a un peu moins d'un an (ICI), ce dernier expliquait les contraintes que faisaient peser sur les ballets l'absence de financement de l'État et les tentations induites par cet état de fait :
Mais il y a aussi une forte tentation populiste. (...) On voit aussi de plus en plus de productions très "Disney" ou "Broadway". Je crois que c'est un piège. (...) Aux États Unis, il n’y a pas d’investissement de l’État dans la culture. Pour nous par exemple, c’est 0,2% de notre budget et la vente de tickets est loin de couvrir les coûts de la compagnie. Donc nous dépendons des donateurs individuels et des sponsors d’entreprise. Il faut les convaincre de s’engager pour l’art. Je ne suis pas pessimiste mais je suis tout de même un peu inquiet pour l’avenir car j’ai vu des compagnies prendre un tournant très commercial et ne pas y survivre. Il faut coûte que coûte persister à encourager la création et la nouveauté, quitte à prendre des risques. Mais c'est la seule voie qui sera payante et permettra au ballet de se perpétuer comme art.
Le programme de salle précise que les représentations de Artifact sont rendues possibles grâce aux généreuses donations du cercle de sponsors comprenant Donna and Michael Egan (cf. photo ICI), et Andrea et Frederick Hoff (cf. photo ICI). À l'issue de la première, une réception privée réunissant les sponsors en présence des artistes était organisée à l'hôtel The Ritz-Carlton tout proche.
PRIX DES PLACES
Le prix des places est le reflet des choix économiques. Pour ce programme Artifact 2017 au Boston Opera House, les prix vont de 45 € à 159 € (cf. captures d'écran ci-dessous).
L'IMPORTANCE de L'ALLEMAGNE et de la FRANCE pour WILLIAM FORSYTHE
Un peu d'histoire est nécessaire pour comprendre les enjeux du partenariat Forsythe - Ballet de Boston. Né à New York en 1949 et formé aux États-Unis, c'est cependant en Europe que William Forsythe va mener l'essentiel de sa carrière. Et c'est l'Allemagne et la France qui vont lui permettre de mener à bien sa révolution dans le ballet et plus largement dans la danse. D'abord, l'Allemagne. La première pièce du chorégraphe date de 1976, Urlicht (pas de deux), présentée à Stuttgart. ll se voit proposer cette même année à 27 ans d'être chorégraphe résident au Stuttgart Ballet, pour quatre ans. Il prend la direction du Ballet de Francfort à 34 ans en septembre 1984, qu'il dirige vingt ans, jusqu'à sa dissolution en 2004. Succédera la Forsythe Company, pendant dix ans, entre Dresde et Francfort, de 2005 à juin 2015. La France a aussi son importante. D'une part, côté danse classique, Rudolf Noureevl'invite une première fois pour chorégraphier pour le Ballet de l'Opéra national de Paris. En 1983, cela donne France/Dance, puis une seconde fois en 1987, qui aboutit à In The Middle, Somewhat, Elevated. D'autre part, côté danse contemporaine, c'est lors du Festival Montpellier Danse de 1988 que la bombe Forsythe explose. Et enfin, William Forsythe sera « en résidence » (comprendre : existence d'un accord financier afin qu'il puisse produire son travail) pendant une dizaine d'années au Théâtre du Châtelet (Paris) de 1990 à 1998.
ÉTATS-UNIS : REFUS puis ACCEPTATION
Un article intéressant de Mark Franko montre, au contraire, les fortes réticences dans les années 80 et 90 des États-Unis aux expérimentations du maître New Yorkais (dans l'ouvrage William Forsythe and the Practice of ChoreographyICI). D'une certaine façon, on peut penser à l'achèvement d'une trajectoire, dans un "retour au pays". D'une part, il y a l'enseignement depuis peu à Los Angeles (notre article ICI), et d'autre part maintenant ce partenariat sur une longue durée.
ARTIFACT 2017
Artifact, qui date de 1984, est la première pièce de William Forsythe qu'il conçoit en tant que directeur du Ballet de Francfort. Dans son esprit, c'est un travail non fini, toujours en cours, puisqu'il a été créé dans l'urgence en trois semaines à l'époque. C'est très peu pour composer une soirée entière.
Artifact 2017 est un ballet en quatre parties. On pourrait préciser un ballet contemporain, qui raconte des histoires d’aujourd’hui. Selon Forsythe c'est « un hybride de danse et de théâtre » (« a hybrid of dance and theater », selon le Boston GlobeICI). En effet, trois personnages incarnent le théâtre, la Femme en Gris (« The Woman in Grey), hiératique, mystérieuse et silencieuse, L'Homme avec un mégaphone (« Man with Megaphone »), assez discret voire effacé, La Femme en robe historique (« Woman with Historical Dress »), qui parle beaucoup dans une prolifération de mots, et qui a besoin d'occuper tout l'espace. On se disait soudain qu'il s'agissait de trois figures : l'Inconscient, le Père et la Mère. Par ailleurs, quarante danseurs, dans des justaucorps verts sombres. Les femmes sont sur pointes.
L’acte 3 est nouveau. Les danseurs sont regroupés au bord de la scène. Une palissade noire un peu plus haute qu’eux les y parque, leur interdisant l’accès à la plus grande partie du plateau. On sent aussi que l’espace qui demeure disponible interdit la danse. Debouts, à gauche les hommes, regroupés, pourraient être des soldats qui vont partir au combat, à droite les femmes regroupées de la même façon (on pourrait aussi parler de deux chœurs). Au milieu, assis chacun sur une chaise rouge, en face à face, La Femme en robe historique et l’Homme au mégaphone. La femme part dans un slam. L’homme lui répond d’une certaine façon. Les danseurs et les danseuses vont chanter. Ambiance musical. On peut rester sur sa faim. L’acte 3 est bref.
La danse est à la fois complexe et répétitive. Elle demeure cependant très lisible. Et tonique. Le travail des bras est remarquable. Les corps sont des hiéroglyphes dont l'humanité aurait perdu la signification. D'une civilisation passée, ou future ? Difficile à dire. Le silence se mêle à la musique. Les éclairages ajoutent une dimension dramatique. Le rideau de scène descend et remonte à plusieurs reprises, tombant dans un claquement. Les corps, dans leurs physicalités et leurs trajectoires, suggèrent des planètes en déplacements dans l'espace infini, vide et froid. Faut-il alors parler d'une pièce métaphysique et mystique ? La dimension stellaire d'Artifact 2017 est en tout cas manifeste.
Le Ballet de Boston a déjà remonté plusieurs pièces de William Forsythe: Love Songs (1979) en 1989. Et sous l'actuelle direction de Mikko Nissinen, In the Middle, Somewhat Elevated (1987) en 2002 et 2005, The Vile Parody of Address (1988) en 2008, The Second Detail (1991) en 2011, 2012, et 2014, et The Vertiginous Thrill of Exactitude (1996) en 2015 et 2016.
ARTIFACT 2017 par le BOSTON BALLET
SAISON 2016 - 2017 du BOSTON BALLET
— (février-mars) William ForsytheArtifact (1984) — (mars-avril 2016) George BalanchineDonizetti Variations (1960) +Jiři KyliánWings of Wax [Ailes de cire] (1997) — (avril-mai) Marius Petipa, additional choreography by Sir Frederick Ashton The Sleeping Beauty [La Belle au Bois Dormant](1890, 1939) — (mai) George BalanchineStravinsky Violin Concerto (1972) + Jerome RobbinsThe Concert (or, the Perils of Everybody) (1956) + Jorma Elo (55 ans, Finlande) CRÉATION
SAISON 2017 - 2018 du BOSTON BALLET
— (novembre) Wayne McGregorObsidian Tear (2016, The Royal Ballet)
+ Jorma Elo (55 ans, Finlande) FinlandiaCRÉATION 2017
— (nov.-déc.) Mikko NissinenThe Nutcracker [Casse-Noisette] (1892, 2012)
— (mars-avril 2018) William ForsythePas/Parts 2016 (2016, San Francisco Ballet)
+ Justin PeckIn Crease (2012, New York City Ballet)
+ Jorma Elo Bach Cello Suites (2015, Boston)
— (mars-avril) John Cranko Romeo & Juliette (1962, Stuttgart Ballet)
— (mai-juin) Auguste Bournonville La Sylphide (1836) + Bournonville Divertissements
RÉPERTOIRE du BOSTON BALLET (2002 - 2015)
Chorégraphes : Pino Alosa, Karole Armitage (USA), Frederick Ashton (Royaume-Uni), George Balanchine (24 pièces), Christopher Bruce (Royaume-Uni), Val Caniparoli (USA), Jeffrey Cirio (USA), Lucinda Childs (USA), Florence Clerc, John Cranko (Afrique du Sud), David Dawson (Royaume-Uni), Alexander Ekman (Suède), Jorma Elo (Finlande), Sorella Englund (Finlande), Michel Fokine, Maina Gielgud (Royaume-Uni), James Kudelka (Canada), Jiří Kylián, Harald Lander (Danemark), José Martinez, Peter Martins (Danemark / New York City Ballet), Léonide Massine, Sabrina Matthews (Canada), Wayne McGregor (Royaume-Uni), Mark Morris (USA), Heather Myers (Canada), John Neumeier, Bronislava Nijinska, Vaslav Nijinsky, Mikko Nissinen, Rudolf Nureyev, Marius Petipa, Helen Picket (USA), Viktor Plonikov (Ukraine), Jerome Robbins, Twyla Tharp (USA), Antony Tudor (Royaume-Uni), Rudi van Dantzig (Hollande), Hans van Manen (Hollande), Christopher Wheeldon (Royaume-Uni), Norbert Vesak (Canada), Yury Yanowsky (Boston Ballet), Leonid Yakobson (Russie), Lila York (USA), Petr Zuska (République tchèque).