vendredi 2 janvier 2015

Contre la réduction du budget de la Culture : Discours de Victor Hugo à l’Assemblée nationale, Séance du 11 novembre 1848

Victor Hugo

Le citoyen victor Hugo. Personne plus que moi, messieurs, n'est pénétré de la nécessité, de l'urgente nécessité d'alléger le budget ; seulement, à mon avis, le remède à l'embarras de nos finances n'est pas dans quelques économies chétives et contestables ; ce remède serait, selon moi, plus haut et ailleurs : il serait dans une politique intelligente et rassurante, qui donnerait confiance à la France, qui ferait renaître l'ordre, le travail et le crédit... (Exclamations et rires)    

(...)

J'ai déjà voté, et je continuerai de voter la plupart des réductions proposées, à l'exception de celles qui me paraîtraient tarir les sources mêmes de la vie publique et de celles qui, à côté d'une amélioration financière douteuse, me présenteraient une faute politique certaine.

C'est dans cette dernière catégorie que je range les réductions proposées par le comité des finances sur ce que j'appellerai le budget spécial des lettres, des sciences et des arts.

Ce budget devrait, par toutes les raisons ensemble, être réuni dans une seule administration et tenu dans une seule main. C'est un vice de notre classification administrative que ce budget soit réparti entre deux ministères, le ministère de l’instruction publique et le ministère de l'intérieur.

Ceci m'obligera, dans le peu que j'ai à dire, d'effleurer quelquefois le ministère de l'intérieur. Je pense que l'Assemblée voudra bien me le permettre, pour la clarté même de la démonstration. Je le ferai, du reste, avec une extrême réserve. (Parlez ! parlez !)

Je dis, messieurs, que les réductions proposées sur le budget spécial des sciences, des lettres et des arts sont mauvaises doublement : elles son insignifiantes au point de vue financier, et nuisibles à tous les autres points de vue.

Insignifiantes au point de vue financier. Cela est d'une telle évidence, que c’est à peine si j’ose mettre sous les yeux de l’Assemblée le résultat d’un calcul de proportion que j’ai fait. Je ne voudrais pas éveiller le rire de l’Assemblée dans une question sérieuse ; cependant il m’est impossible de ne pas lui soumettre une comparaison bien triviale, bien vulgaire, mais qui a le mérite d'éclairer la question et de la rendre pour ainsi dire visible et palpable.

Que penseriez-vous, messieurs, d'un particulier qui aurait 1.500 fr. de revenus, qui consacrerait tous les ans à sa culture intellectuelle par les sciences, les lettres et les arts, une somme bien modeste, 5 francs, et qui, dans un jour de réforme, voudrait économiser sur son intelligence six sous ?

(...)

Et quel moment choisit-on (c'est ici, à mon sens, la faute politique grave que je vous signalais en commençant), quel moment choisit-on pour mettre en question toutes ces institutions à la fois ? Le moment où elles sont plus nécessaires que jamais, le moment où, loin de les restreindre, il faudrait les étendre et les élargir. 

Eh ! quel est, en effet, j'en appelle à vos consciences, j'en appelle à vos sentiments à tous, quel est le grand péril de la situation actuelle ? L'ignorance ; l’ignorance plus encore que la misère... (Adhésion), l'ignorance qui nous déborde, qui nous assiège, qui nous investit de toutes parts. C'est à la faveur de l'ignorance que certaines doctrines fatales passent de l'esprit impitoyable des théoriciens dans le cerveau confus des multitudes. Le communisme n'est qu'une forme de l'ignorance. (Très bien !). Le jour où l'ignorance disparaîtrait, les sophismes s'évanouiraient. Et c'est dans un pareil moment, devant un pareil danger qu'on songerait à attaquer, à mutiler, à ébranler toutes ces institutions qui ont pour but spécial de poursuivre, de combattre, de détruire l'ignorance ! 

Sur ce point, j'en appelle, je le répète, au sentiment de l'Assemblée. Quoi ! d'un côté, la barbarie dans la rue, et de l'autre, le vandalisme dans le Gouvernement ! Messieurs, il n'y a pas que la prudence matérielle au monde, il y a autre chose que ce que j'appellerai la prudence brutale. Les précautions grossières, les moyens de force, les moyens de police ne sont pas, Dieu merci, le dernier mot des sociétés civilisées ! On pourvoit à l'éclairage des villes, on allume tous les soirs, et on fait très bien, des réverbères dans les carrefours, dans les places publiques ; quand donc comprendra-t-on que la nuit peut se faire aussi dans le monde moral, et qu'il faut allumer des flambeaux pour les esprits ! (Approbation et rires.)

ON TROUVERA LE TEXTE ORIGINAL DANS SON INTÉGRALITÉ  ICI

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