Parterre, Photo Laurent Philippe |
Le parterre avait à l’origine le sens de sol, de plancher, avant de désigner, selon l’Académie, la partie d’une salle de spectacle située entre les fauteuils d’orchestre et le fond du théâtre. La notion englobe, connote ou contamine celles de parquet, plate-bande, verdure, pelouse, massif, carré, boulingrin. Au sens large, le mot désigne l’orchestre, les stalles, la galerie, donc aussi le spectateur. Lequel était au départ debout et, de nos jours, assis mais non en lieu et place du prince. Le parterre peut être de buis, de gazon ou de fleurs. Paradoxalement, il arrive qu’il soit aquatique puisqu’on emploie parfois l’expression parterre d’eau pour qualifier un bassin. En Espagne, on lui préfère le solide et on parle de macizo (de massif). Au Brésil, on utilise l’expression canteiro de flores si bien que, dans sa note d’intention, Volmir Cordeiro exprime le désir de « faire émerger un jardin de couleurs et de parfums capable de nous rendre ensemble et confiants ». Que cent fleurs s’épanouissent, donc, pour paraphraser Mao.
Ce rêve éveillé de Volmir Cordeiro débute un peu comme le conte Cendrillon de Perrault et de Grimm – thème qui a inspiré les chorégraphes, de Louis-André Duport à Jean-Christophe Maillot, en passant par Petipa-Ivanov-Cecchetti, Laban, Fokine, Ashton, Gsovski, Noureev, etc. Tandis que s'installe l’assistance, une interprète, déjà dans la place, Lucia García Pulles, vêtue d’un jupon bleu en matière plastique conçu par Rubén Pioline Aronian et cousu par Coco Blanvillain, balaie consciencieusement le plateau au moyen d’un branchage cueilli, peut-on penser, dans le jardin de la Briqueterie – tout théâtre a son parterre, sa cour et son jardin. Des marques au sol rappellent celles qui ornaient le parquet du palais des Sports pour IXe Symphonie (1964) de Béjart. Ces cercles, triangles, lignes et signes n’ont rien de cabalistique, rien à voir avec un culte orisha. Elles évoquent la géométrie du jardin à la française, ainsi que le précise le chorégraphe. Avec la longue patère au fond du parterre où pendent des vêtements colorés, pauvres et baroques à la fois, ces traces grises sur PVC clair composent la scénographie d’Hervé Cherblanc.
Après l’extinction des lumières de salle, entrent en jeu les feux du spectacle sous le contrôle d’Éric Wurtz. Et entre en scène le danseur-chorégraphe en personne. À l’admirable variation en forme de prestation de service de Lucia García Pulles, succède un solo délicat de Volmir Cordeiro qui, usant d’une serpillère pour accessoire, parachève le nettoyage de la moindre particule de terre. La bande-son percussive et festive de Loup Gangloff monte de plusieurs degrés et dizaines de décibels. Trois autres performances individuelles se suivent sans se ressembler : celle, technique et athlétique de Marius Barthaux, celle, élégante et indolente, d’Élie Autin, celle, déliée et gracieuse de Cassandre Moun. Sans transition, sans pas de deux ou de plus, on passe au deuxième acte de la pièce, constitué d’un travail d’ensemble. En d’autres termes – ceux du programme –, « les cinq singularités s’imbriquent, se combinent. » La géométrie terre à terre triomphe de toute hiérarchie sociale. Volmir Cordeiro considère le théâtre comme « un espace intrinsèquement démocratique ».
Nicolas Villodre
Parterre, de Volmir Cordeiro, La Briqueterie - Centre de Développement Chorégraphique National (CDCN) du Val-de-Marne, Vitry-sur-Seine, dans le cadre du festival Excentriques (25/09 au 11/10), du 1 au 3 octobre, vu le 3 octobre. En savoir +
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