samedi 1 novembre 2025

Danse - Le drapeau Palestien interdit aux Abbesses

Le public grimpe la rue Ravignan, en face du Théâtre des Abbesses, Photo Fabien Rivière 
Gush is Great, par Production Xx, Photo Fabien Rivière
Gush is Great, par Production Xx, Photo Fabien Rivière
.
Le Théâtre de la Ville à Paris présentait en septembre en son Théâtre des Abbesses cinq programmes consacrés aux résultats du Concours Danse élargie. Le concours se déroule depuis 2010 les années paires (20 projets de 10 minutes chacun), les résultats sont développés les années impaires. En 2025, nous y voici. 

Le 4° programme, sur 5, est composé de trois propositions qui ont pour points communs la transmission d'œuvres, à des élèves ou à des professionnel-le-s.

Il s'est ouvert par une pièce en plein air, Gush is Greatcréation de Production Xx, soit Julie Botet, Simon Le Borgne, Max Gomard, Philomène Jander, Zoé Lakhnati et Ulysse Zangs (présentations en fin d'article) en collaboration avec les 36 élèves du Conservatoire à Rayonnement Régional (CRR) de Paris - Ida Rubinstein (8° arrondissement), option Danse classique, jazz et contemporain, de la seconde à bac +3, qui ont entre 16 et 23 ans. 

La version originale de la pièce, de 10 minutes réglementaires, a été proposée lors de l'édition 2024 du concours Danse élargie. Elle a obtenu le 2° prix du jury d'artistes et le prix du « Jury Jeunes », soit alors 19 élèves de ce même département danse du Conservatoire à Rayonnement Régional (CRR) de Paris - Ida Rubinstein, qui ont souhaité reprendre la pièce et la développer. 

Vers la fin de la performance, Photo Fabien Rivière

Nous écrivions : « (...) on observe un slow motion de 10 minutes du fond du plateau à son devant, une ligne d'interprètes face au public, qui va jeter par dessus bord si on ose dire, tout un tas d'objets dissimulés sous ses manteaux. C'est du mime, et "politiquement", pour répondre à un jury, c'est bien faiblard, sinon geignard, passif. » 

Fin de la performance, Photo Fabien Rivière

En septembre 2025, l'œuvre prend une toute autre ampleur. On observe les spectatrices et spectateurs nombreux, grimper la rue pentue en face du théâtre des Abbesses, et stopper un peu avant la place sur laquelle elle débouche. Ils entourent les interprètes qui prennent position au milieu de la rue, debout dans le sens de la descente. Ils vont marcher lentement un peu plus de 50 mètres, en 30 minutes. C'est "lent". Dans le programme, Production Xx fait état d'« une apparente lenteur. Apparente car en vérité il y a un vrai rythme et tout va beaucoup plus vite que ce qu'il n'y paraît. » Ils vont jeter au sol différents objets. En fin de course, ils vont se laisser tomber au sol et y demeurer un temps. 

Après les applaudissements, les membres de Production Xx vont se succéder dans la lecture d'un texte qui dénonce l'interdiction qui leur a été faite de déployer un drapeau Palestinien. Nous le publions in-extenso ci-dessous. Un extrait : « (...) nous tenions quand même et aussi à exprimer notre profonde inquiétude face à la décision qui a été prise d’interdire la présence du drapeau palestinien dans cette performance avec les élèves. Cette décision soulève des questions fondamentales sur la liberté d’expression artistique, sur le rôle de l’art dans la sphère publique, et sur les limites imposées à la représentation de la réalité politique, complexe, malgré le cadre institutionnel et scolaire autour de ce projet. Nous avions besoin de partager avec vous ces inquiétudes. (vifs applaudissements) » Selon une bonne source, l'interdiction argue de la présence de mineur-e-s. 

Le travail de répétition a duré trois semaines, au Carreau du Temple et à la Ménagerie de Verre. Il s'est agi de travailler « les états de corps », comme confié par un-e interprète. C'est bien, mais est-ce suffisant ? Comme si le corps pouvait répondre à tout. Aucune photographie vue, ou vidéo et film visionnés, ou de livres lus. Le réel est maintenu à distance (à une unique exception près, finalement interdite). Est mobilisé l'imaginaire de la manifestation, mais dans une énergie très sinon trop basse, qui fait penser plus à celle d'un enterrement. Pour un psychanalyste lacanien, cette action de laisser tomber des objets peut être comprise comme un impératif sinon un ordre : laissez tomber (toute lutte). On pourrait parler de corps - paysage, c'est-à-dire de corps intéressants à regarder, poétiques pourquoi pas, mais passifs. 

Première page, feuille en noir et blanc de format A4 scotchée sur les portes
de toutes les entrées d'immeubles de la rue, Photo Fabien Rivière
Seconde page, feuille en noir et blanc de format A4 scotchée sur les portes
de toutes les entrées d'immeubles de la rue, Photo Fabien Rivière

Personne n'a fait attention à ces deux feuilles en noir et blanc de format A4 scotchées sur les portes de toutes les entrées d'immeubles de la rue où a lieu la performance, pourtant très instructives. Nous les publions ci-dessus. Il s'agit d'un courrier d'un représentant de l'État, en l'espèce du Préfet de police adressé au Théâtre de la Ville. Il indique au passage l'existence d'un Bureau de la voie publique, Section manifestations. Il rappelle la nécessité d'une autorisation de l'État pour qu'un groupe intervienne dans l'espace public. Surtout on notera l'intitulé du courrier, en majuscules : PROJET DE MANIFESTATION NON REVENDICATIVE SE DÉROULANT DANS L'ESPACE PUBLIC. Il y est question « d'une déambulation chorégraphiée avec des danseurs. » NON REVENDICATIVE est la catégorie choisie, qui facilité l'obtention de l'autorisation. L'animation neutralise sinon annule la revendication ? 
Fabien Rivière 
— Programme 4, Focus Jeunes créateurs - Générations Danse élargie, Théâtre de la Ville au Théâtre des Abbesses, 19 et 20 septembre. En savoir +

NOUS AVONS PUBLIÉ : 

Julie Botet est passée par l'école du Centre Chorégraphique National (CCN) de Roubaix sous Carolyn Carlson puis Olivier Dubois. 
Simon Le Borgne est membre du Ballet de l'Opéra national de Paris, en congé.  
Max Gomard, a étudié au Conservatoire de Tours et Coline à Istres, puis a participé à cinq créations avec Thomas Lebrun, Fabrice Ramalingom, Alban Richard, Georges Appaix et Michel Kelemenis. 
Philomène Jander a étudié à P.A.R.T.S (Performing Arts Research and Training Studios) à Bruxelles.
Zoé Lakhnati est diplômée en danse classique du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse (CNSMD) de Lyon en 2019 et de P.A.R.T.S (Performing Arts Research and Training Studios) à Bruxelles en 2022. Danseuse interprète pour les chorégraphes Mette Ingvartsen et Leïla Ka et a travaillé en tant qu’assistante pour Robyn Orlin et Dimitri Chamblas. 
Ulysse Zangs est diplômé de l'École du Ballet de l'Opéra de Paris et de la Palucca Hochschule für Tanz à Dresde (Allemagne) avant de rejoindre la Dresden Frankfurt Dance Company, où il a joué jusqu'en 2019. Travaillant désormais en tant qu'artiste indépendant, il collabore avec des chorégraphes et metteurs en scène de théâtre tels que Benjamin Millepied, l'Allemand Ersail Mondtag, Simon Le Borgne, et d'autres. Il est aussi musicien. 

Avec Roman Bonilauri, Lili Bracq, Salma Chemin Katar, Junior Douville, Héloïse Gappin Schmitt, Antoine Quares, Constance Voarick, Laura Annede Leray, Bertille Blondel, Cloé Sahone Billot, Natacha Fine, Tiana Rajaomaria, Léa Baudoin, William Boulay Itela, Maud Duchene, Vadim Villagordo, Livia Bras Jacques, Wei Faham Lee, Meliza Naves Suarez, Leïla Jouishomme, Gabriel Camara Issa, Léon Gauthier, Sybille Hoffman, Noé Lavandier, Salomé Moreels, Ulysse Roy, Louise Scheidt, Cassandra Thevenin, Yoannagbo Niang, Apolline Gueguen Caillié, Valentine Humbert, Mia Orobio Besson Magdelain, Roman Ramanick Gallonde, Elinoa Sieradzki Sprung, Yamin Ruiz, Salomé Tratman, Juliette Floc’Hlay

INTERVENTION 
de membres de Production Xx à l'issue de la performance 

— (Intervention d’une jeune femme)

Bonjour à toutes et à tous, 

Merci d’avoir assisté à la seconde présentation de la version XXL de la création collective Gush is Great,  

Merci aux équipes du Théâtre de la Ville, merci aux équipes techniques et encadrants du Conservatoire, Merci aux élèves qui nous ont choisi l’année passée lors de Danse élargie (vifs applaudissements) faisant confiance à la fois au projet mais aussi aux élèves actuels qui ont su s’approprier et porter cette pièce avec force et engagement.

Vous avez pu voir cet après-midi la grande qualité des interprètes que nous tenions à remercier chacune et chacun pour leur investissement autour de ce projet de transmission (vifs applaudissements) 

 

— (Intervention d’un jeune homme) 

Merci donc à … euh … çà va être un peu long, mais vous avez l’habitude je pense avec ce qui vient d’arriver. Merci à [énonce tous les prénoms des interprètes] vous pouvez évidemment les applaudir (vifs applaudissements). On doit aller assez vite car le temps nous est compté, pour ceux qui vont continuer l’après-midi de spectacles [en salle] mais nous tenions quand même et aussi à exprimer notre profonde inquiétude face à la décision qui a été prise d’interdire la présence du drapeau palestinien dans cette performance avec les élèves. Cette décision soulève des questions fondamentales sur la liberté d’expression artistique, sur le rôle de l’art dans la sphère publique, et sur les limites imposées à la représentation de la réalité politique, complexe, malgré le cadre institutionnel et scolaire autour de ce projet. Nous avions besoin de partager avec vous ces inquiétudes.  (vifs applaudissements)  


— (Intervention d’une jeune femme)

() dans notre démarche, le drapeau n’est pas un simple emblème, il ne représente pas un mot d’ordre, mais un geste scénique porteur d’histoire de luttes, de silence et de fractures; Le convoquer dans une chorégraphie c’est ouvrir un espace de réflexion sur les corps en résistance et sur les territoires traversés par la violence et l’effacement. Empêcher l’apparition d’un symbole, en l’occurence celui d’un peuple exterminé par un régime autoritaire revient à nier une part de réalité, cela revient à taire une douleur. L’art, dans son essence n’est pas un espace neutre. Il interroge, dérange parfois, et c’est précisément là que réside sa nécessité. (vifs applaudissements) 


— (Intervention d’un jeune homme homme)

Nous affirmons que notre travail ne fait l’apologie d’aucune violence, il cherche au contraire à rendre visible les expériences souvent tues apportées aux corps marginalisés, et à ouvrir un espace poétique pour montrer la complexité de notre monde. L’art est un langage, la scène un lieu de liberté  symbolique. Restreindre les signes que les artistes peuvent y déployer revient à réduire cette liberté et à céder à une logique de contrôle politique sur la création. Nous refusons que la peur, la pression ou la neutralisation idéologique viennent restreindre le champ de ce qui peut être dansé. (applaudissements) 

 

— (Intervention d’un jeune homme homme)

Nous continuerons, avec responsabilité et exigence, à défendre notre liberté artistique, engagée, ouverte au dialogue, et ancrée dans la réalité de notre époque. Et nous remercions encore une fois les jeunes qui, avec nous, ont porté ces quelques mots essentiels. Merci.  (vifs applaudissements) 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire