mercredi 25 juin 2014

Intermittents - Le chorégraphe Angelin Preljocaj est contre la grève + Une réponse d'Anthony Gérard

Dans une interview accordée à Libération paru le 24 juin 2014 (à lire ici), le chorégraphe Angelin Preljocaj directeur du Ballet Preljocaj - Centre chorégraphique national d’Aix-en-Provence affirme son opposition à la grève que prônent les intermittents :  
Annuler [une représentation], nous le vivons comme une aberration, c’est suicidaire, c’est une destruction. On n’est pas des multinationales, on n’est pas dans la commercialisation. C’est une forme de mutilation du langage, on a l’impression que tout est répétition, que tout bégaie. Je ne sais plus quoi dire. J’entends les colères, les douleurs, mais j’ai le droit de me demander si les actions sont les bonnes. Le combat, je le partage mais il faut bien choisir ses armes et son champ de bataille.
Reportage de TVsud, le lundi 23 juin 2014 
(interviews d'Angelin Preljocaj puis de Sharon Eyal)

Anthony Gérard lui a répondu le jour même sur sa propre page Facebook (ici), texte repris aussi sur celle de la très active sur le terrain CIP LR (Coordination des intermittents et précaires du Languedoc-Roussillon contre l'accord UNEDIC du 22/03/14 et pour l'ouverture de nouvelles négociations, ici) : 
Angelin, Preljocaj : Empty moves ou Les mouvements vides.
Réponse à l'article de Libération du 24 juin 2014 : Annuler, c'est
une aberration, suicidaire.

Angelin,
À ton interview dans Libé, je ne peux m'empêcher de m'interroger sur ton entendement des colères, des douleurs, et sur ton partage du combat quant au conflit des intermittents, précaires et chômeurs. (Mais aussi sur le titre évocateur du spectacle que tu devais jouer à Montpellier Danse dimanche soir...)

Tu parles de 2003 et tu penses que cela n'a rien amené. Ne vois-tu que ce qui se passe en ce moment est le fruit du travail du combat de cette année-là et de tout le travail qui a été effectué depuis ? Que cela a été un moyen de pression qui perdure dans le combat actuel. Que c'est un travail de fond sur la société qui a été engagé à partir de cette lutte que tu juges aberrante ?

Dois-je te rappeler qu'en juin 2003 au Théâtre des Champs Elysées, pour la représentation de Roméo et Juliette, tu as fait un mielleux discours devant tes danseurs et techniciens, beau joueur citant une énième fois ta gentille rengaine sociale sur La République de Platon, en leur promettant de respecter leur vote quand à la grève. Après le vote de la grève à l'unanimité de ton équipe, dix minutes après, ce n'était plus le même discours, le respect républicain n'était plus dans le ton de tes paroles. Car c'était bien à un lynchage d'irresponsables auquel tu t'ais livré ce jour-là.

Et te souviens-tu de ton attitude à Châteauvallon en 1995, lors de l'élection du FN à Toulon ? Tu déclarais très fièrement à l’époque, dans l'émission sur la danse de Paris Première, que dès que tu avais appris les résultats de cette élection, tu avais réuni toute ton équipe et qu'ensemble, dans un même élan démocratique, vous aviez décidé de quitter Châteauvallon. Mais, sans communication aucune de toi et Nicole Saïd, alors que vous deux seuls aviez pris cette décision, les danseurs et techniciens ont réclamé au bout de trois semaines une réunion pour savoir ce qu'il en était de leur sort et de celui de la compagnie. Vous leur avez fait part de votre unilatérale décision en leur précisant qu'ils étaient libres de vous suivre s’ils en avaient envie. Et cette décision soit disant politique n'était-elle pas plutôt motivé par des raisons économiques, soit la mésentente grandissante entre Nicole Saïd, directrice de ta compagnie, et Nicole Jarrier, administratrice de Châteauvallon, où vous étiez artistes associés depuis quelques mois ? C'est pourtant ce que certains danseurs ou techniciens osaient évoquer à l'époque...

C'est souvent deux poids, deux mesures avec toi Angelin. D'un coté les belles paroles à la presse, de l'autre les actes douteux quant à tes réelles motivations. Je te rappelle que j'attends toujours, comme je te l'avais formulé quelques temps après, un contrat de travail et mon paiement pour le travail de scénographie, construction, régie plateau et régie général pour le spectacle de Sylvain Groud lors des Cartes Blanches au Ballet Preljocaj >> de 1999... Apparemment cela n'a jamais perturbé ta conscience quant au droit du travail...

« On a beau dire dansons, on est pas bien gai. On a beau dire quel malheur la mort, il aurait fallu vivre pour avoir quelque chose à perdre. »
Gilles Deleuze & Claire Parnet, Dialogues, 1977 (p. 76, édition Poche 
À bon entendeur. 
Anthony GÉRARD 

1 commentaire:

  1. Nous vivons dans un monde plutôt désagréable, où non seulement les gens , mais les pouvoirs établis ont intérêt à nous communiquer des affects tristes. La tristesse, les affects tristes sont tous ceux qui diminuent notre puissance d’agir. Les pouvoirs établis ont besoin de nos tristesses pour faire de nous des esclaves. Le tyran, le prêtre, les preneurs d’âmes, ont besoin de nous persuader que la vie est dure et lourde. Les pouvoirs ont moins besoin de nous réprimer que de nous angoisser, ou, comme dit Virilio, d’administrer et d’organiser nos petites terreurs intimes. La longue plainte universelle qu’est la vie … On a beau dire « dansons », on est pas bien gai. On a beau dire « quel malheur la mort », il aurait fallu vivre pour avoir quelque chose à perdre. Les malades, de l’âme autant que du corps, ne nous lâcheront pas , vampires, tant qu’ils ne nous auront pas communiqué leur névrose et leur angoisse, leur castration bien-aimée, le ressentiment contre la vie, l’immonde contagion. Tout est affaire de sang. Ce n’est pas facile d’être un homme libre : fuir la peste, organiser les rencontres, augmenter la puissance d’agir, s’affecter de joie, multiplier les affects qui expriment un maximum d’affirmation. Faire du corps une puissance qui ne se réduit pas à l’organisme, faire de la pensée une puissance qui ne se réduit pas à la conscience.

    ´Dialogues´ - 1977
    Gilles DELEUZE – Claire PARNET

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